À Longueuil, un policier sans pouvoir d’inspecteur émet une contravention tabac et gagne en cour

C’est un cas très particulier que DepQuébec — qui aime aller au fond des choses — a suivi jusqu’au bout… soit jusqu’en cour municipale.

Propriétaire d’un Provi-Soir Shell à Longueuil, Jassi Jagdish a reçu l’an dernier, en mars, une amende de 684$ pour une affiche manquante d’interdiction de fumer sur sa porte d’entrée (voir article ici).

Or, au moment des faits, la ville de Longueuil n’avait pas complété les démarches nécessaires auprès du MSSS pour conférer à ses inspecteurs et policiers municipaux le pouvoir légal de faire appliquer la loi sur le tabac.

L’inspecteur n’avait donc pas d’autorité pour faire des inspections et émettre des amendes. Enfin, c’est ce que nous pensions.

Mais au final, M. Jagdish a été condamné quand même!

De sorte que, autorité ou pas, la preuve est faite: n’importe quelle ville peut coller une amende à un dépanneur pour un manquement à la réglementation tabac.

Tenez-vous le pour dit!

Pas d’autorité? Pas grave!

Rappelons les faits.

Le 26 mars dernier, un individu se présente dans un dépanneur Provi-Soir situé rue Soucy à Longueuil.

S’avançant vers la caisse, il sort un badge qu’il présente au commis : surprise! C’est un authentique policier de Longueuil, en chair et en os.

« Oui, M. l’agent, que peut-on faire pour vous? »

Le policier commence alors un interrogatoire en règle suivie d’une inspection sur la présence en magasin des boissons maltées retirées par la RACJ, soit les produits Mojo, Octane, Four Loko, etc.

Ne trouvant rien à redire, le policier en profite pour vérifier si les affiches obligatoires en vertu de la loi sur le tabac sont toutes présentes et remarque qu’il en manque une sur la porte d’entrée.

Ainsi, deux semaines plus tard, le propriétaire reçoit une contravention de 684 $ pour violation de la Loi sur le tabac.

684 $ parce qu’une petite affichette sur la porte d’entrée s’est décollée… « Et bien au moins, je ne suis pas venu pour rien! », c’est sans doute dit le policier en question.
La police de Longueuil passée à tabac

Toutes les villes du Québec peuvent faire appliquer les articles de la loi sur le tabac qui ne requièrent pas de pouvoirs spéciaux comme, par exemple, de faire respecter l’interdiction de fumer dans des lieux publics.

Elles peuvent même émettre des contraventions, poursuivre les contrevenants en cour municipale et conserver le fruit des amendes.

Lorsqu’il s’agit, toutefois, d’inspecter des points de vente ou des entreprises privées, cela prend des pouvoirs spéciaux. On n’entre pas ainsi chez les gens sans mandat, à moins justement d’avoir de tels pouvoirs.

Pour conférer les importants pouvoirs d’inspection à leurs inspecteurs et policiers, une municipalité doit, en vertu de l’article 32 de la Loi concernant la lutte contre le tabagisme (RLRQ, chapitre L-6.2), nommer des personnes ou des catégories de personnes (par exemple des policiers ou des inspecteurs municipaux) pour appliquer la loi sur le tabac et surtout, en aviser le ministre par écrit. Elle doit remettre aussi des actes de nomination aux inspecteurs qui sont tenus de les montrer sur demande.

DepQuébec a ainsi appris que ce n’est qu’en juin 2018, soit près de trois mois après la contravention remise à M. Jagdish, que Longueuil a adopté une résolution en ce sens et avisé le ministre.

« Il est proposé de nommer tous les policiers du Service de police de l’agglomération de Longueuil pour remplir les fonctions d’inspecteur conformément à l’article 32 de la Loi concernant la lutte contre le tabagisme, afin de veiller à l’application du chapitre II et III de cette loi, et d’en aviser le ministre de la Santé et des Services sociaux. » – Résolution CA-180614-2.3 de la Ville de Longueuil, 14 juin 2018

Donc, nous avions une preuve solide que l’inspecteur qui a visité le commerce de M. Jagdish et émis une contravention n’avait pas les pouvoirs requis pour le faire au moment des faits.

L’argument de la ville

En cour, DepQuébec a prêté assistance à M. Jagdish en tentant d’abord de négocier, en son nom, un acquittement auprès du procureur de la ville. En vain.

Dans une première audience convoquée le 11 décembre 2018, la procureure de la ville s’est dite en désaccord avec notre interprétation.

« Si l’infraction constatée avait requis des pouvoirs spéciaux d’inspecteur — comme de faire ouvrir des tiroirs de tabac ou encore d’inspecter des pièces privées — je ne dis pas, mais la contravention vise une affiche manquante sur la porte d’entrée accessible à tous. N’importe qui, même un citoyen, aurait alors pu porter plainte et nous aurions pu, sur cette base, émettre une contravention », de souligner la procureure.

Sans avocat, il a été bien difficile pour M. Jagdish de plaider les subtilités de l’article 32 versus l’article 39 de la loi.

L’Honorable juge Pierre-Armand Tremblay qui présidait la cause — fort sympathique magistrat au demeurant — s’est rangé du côté de la poursuite et M. Jagdish s’est donc vu condamné à payer l’amende, plus 100$ de frais additionnels pour l’avoir contesté en cour.

Un détour certes, mais pas l’esprit de la loi

Cette décision est peut-être correcte juridiquement parlant, mais elle ne respecte certes pas l’esprit de la loi.

L’article 39 de la Loi concernant la lutte contre le tabagisme prévoit en effet que les municipalités peuvent faire appliquer la loi sur le tabac et intenter des poursuites dans leur cour municipale.

Article 39 : Les poursuites pénales pour la sanction d’une infraction aux dispositions de la présente loi commise sur son territoire peuvent être intentées par une municipalité locale devant une cour municipale.

Toutefois, l’article 32 précise les conditions pour qu’un policier ou un inspecteur d’une municipalité ait les pouvoirs nécessaires de faire des interventions

Article 32 : Pour l’application de la présente loi (…), une municipalité locale peut également nommer, pour l’application du chapitre II et du chapitre III, des personnes ou identifier des catégories de personnes pour remplir les fonctions d’inspecteur ou d’analyste. Lorsqu’elle procède ainsi, la municipalité doit en aviser le ministre.

Pour l’application de la présente loi… ça le dit pourtant bien.  Si vous voulez qu’un inspecteur applique la loi, vous devez faire cela.. et Longueuil ne l’avait pas fait.

Or, nous voyons ici un policier municipal qui, dans le cadre d’une inspection en bonne et due forme sur l’alcool, a émis une contravention tabac directement au commerçant.

Le fait de prétendre que ça revient au même que si un citoyen s’était plaint ne respecte aucunement l’esprit de la loi et ce pourquoi cet article de loi existe.

Cela signifie en fait que toutes les municipalités peuvent vous mettre à l’amende… pouvoir d’inspecteur ou pas!

L’article 32 s’avère donc insignifiant car dans la mesure où les dépanneurs sont considérés comme des espaces publics accessibles, aucun pouvoir spécial n’est requis pour la vaste majorité des infractions qu’on peut y constater.

Un commentaire sur "À Longueuil, un policier sans pouvoir d’inspecteur émet une contravention tabac et gagne en cour"

  • 20 février 2019 à 03:07
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    Wow quelle bande de dégueulasse, si ça ce n’est pas des taxes déguisés et de l’extortion… On a plus à craindre de notre propre gouvernement corrompu que du crime organisé! Même en ayant raison en se basant sur leur propre loi qu’ils ont eux même écrit, le gars perd pareil et ils osent enfoncer le clou en tapant encore plus fort dessus en lui rajoutant un frais de 100$ de plus alors qu’il subit stress, perte de temps et de journée de travail. Au minimum ils auraient pu lui épargner les frais de cour. On repassera sur la définition de ce qu’est d’être « honorable ». C’est plutôt des gens qui se croient supérieur et au-dessus des lois. J’ai vécu 10x pire que ce monsieur du dépanneur donc j’le comprend très bien.

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