Ce n’est pas demain la veille qu’on reprendra la Régie à questionner la fixation des prix du lait

« La Régie vous informe que la question du maintien du Règlement n’est plus considérée à ce stade du dossier ».

C’est par cette petite phrase banale, incluse dans un courriel anodin transmis la semaine dernière par le Secrétaire de la Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec (RMAAQ), Jaafar Bouanane, aux réprésentants de la filière de vente et de distribution du lait au Québec, que l’organisme en question venait d’enterrer officiellement sa longue quête existentielle de plusieurs années sur la pertinence de fixer les prix du lait.

Il est en effet extrêmement rare de voir au Québec un organisme de réglementation ouvrir la porte à un renoncement d’un de ses pouvoirs. C’est pourtant bel et bien ce que la RMAAQ a entrepris voilà plusieurs années en ce qui concerne la fixation des prix du lait au détail et ce, en remettant publiquement en question la pertinence, la légitimité et même sa capacité de pouvoir établir année après année un juste prix dans un environnement devenu extrêmement complexe ainsi qu’en initiant une réflexion ouverte à ce sujet.

Historique d’un cheminement peu banal

Comment un organisme réglementaire en vient-il à remettre en question son pouvoir et comment, par la suite, il ferme la porte à cet exercice, est assez singulier à voir et à comprendre.

D’abord, la RMAAQ décidait en septembre 2013 de tenir une séance publique pour décider « s’il est justifié et encore possible » de continuer à réglementer les prix du lait de consommation et, le cas échéant, déterminer ce que devrait viser cette réglementation quant aux catégories de lait, aux types de marchés et aux modalités de fixation des prix. Ce n’est pas rien comme proposition!

Une consultation a dès lors été organisée le 29 janvier 2014 auprès des intervenants du milieu et ce, sur la foi d’un document de réflexion rédigé par l’organisme et le MAPAQ. Ce dernier précisait les paramètres de la réflexion en cours :

  • Quels devraient être les objectifs poursuivis par la réglementation des prix du lait?
  • En quoi réglementer les prix du lait est-il le seul ou le meilleur moyen d’atteindre ces objectifs?
  • Le cas échéant, quels devraient être les catégories de lait visées par la réglementation (régulier, valeur ajoutée, % de gras, formats, autres)?
  • Le cas échéant, à quel niveau de la commercialisation la réglementation devrait-elle s’appliquer (livraison à domicile, vente au comptoir, vente à un détaillant, autres)?
  • Le cas échéant, quelle méthode la Régie devrait-elle retenir pour fixer les prix? Justifier la méthode proposée quant aux points suivants :
    – Fréquence des révisions complètes;
    – Fréquence et modalités des réajustements.
  • Financement de la méthode de fixation des prix et conséquences, le cas échéant, d’un refus ou d’une incapacité à assumer les coûts.
  • Quelles seraient les conséquences d’une déréglementation des prix du lait au Québec?

Si la RMAAQ pensait alors faire plaisir à l’industrie, elle s’est carrément fourvoyée puisque lors de la séance publique de consultation, aucun groupe n’a voulu saisir la perche tendue par l’organisme (voir la décision 10699 qui fait état des positions de chaque représentant) :

  • Les Producteurs de Lait du Québec se sont montrés en faveur de la réglementation, « pour maintenir un environnement stable dans l’industrie laitière »;
  • Agropur aussi, laissant même planer le spectre « d’une diminution de l’offre de produits et de l’augmentation des prix du lait dans certains marchés ou régions, voire même l’abandon du service par manque de rentabilité », advenant une dérèglementation;
  • Le Conseil des industriels laitiers du Québec (CILQ) s’est dit partisan du statu quo;
  • Le Conseil canadien du commerce de détail (CCCD) a, pour sa part, sermonné la Régie : ce n’est pas son rôle de se remettre en question, c’est au législateur! Son rôle est d’appliquer la loi, point!
  • L’Association des détaillants en alimentation (ADAQ) a souhaité elle aussi le maintien des prix minimum, voulant à tout prix éviter que le lait devienne un « loss leader » (un prix vendu à perte pour attirer la clientèle);
  • Quant à l’Association coopérative d’économie familiale de Québec (ACEF), elle s’est déclarée grosso modo pour le renforcement de la réglementation, en éliminant les exceptions comme le lait filtré et en abaissant le prix maximum.

Sans se prononcer sur le fond de la question (à part de constater le « consensus » de l’industrie en faveur du maintien de la fixation du prix du lait) ni la moindre analyse transcendante sur son rôle en devenir, la Régie concluait simplement en demandant aux représentants des études sur les frais en aval des coûts de production afin de mettre à jour son mécanisme d’indexation des prix.

Par ailleurs, elle surprenait tout le monde en lançant un pavé dans la mare : dorénavant, édicta-t-elle, certains laits faisant partie de la catégorie « à valeur ajoutée » en seront exclus : « Le lait ayant subi une microfiltration ou une multi-centrifugation et celui vendu en contenants de plastique ou en contenants de carton avec bouchon de plastique et celui auquel de la vitamine D a été ajoutée sont réputés ne pas être des laits à valeur ajoutée.  » Ouch!

Juste parce qu’il est dans un contenant de plastique, le lait est considéré « à valeur ajoutée » et n’est pas assujetti aux prix réglementés. Ainsi, l’industrie peut miser sur cette catégorie pour asseoir sa croissance et sa rentabilité.
Du lait exempté pour permettre à l’industrie de souffler

Cette décision inattendue a pour effet catastrophique de soumettre une large panoplie de laits aux prix maximum réglementés, alors qu’ils en sont présentement exclus et peuvent être vendus n’importe quel prix.

Ainsi :

  • un 2 L de lait 2 % dans un contenant de plastique présentement vendu 4,55 $ environ devra être vendu 3,60 $ maximum (une baisse de 21 %);
  • un 2 L de lait 2 % microfiltré présentement vendu 4,79 $ devra être vendu 3,60 $ maximum (une baisse de 25 %).

Bien entendu, l’industrie ne l’a pas entendu de cette façon et une demande de suspension de cette modification a été déposée rapidement, instaurant de fait un moratoire sur l’application de celle-ci.

Le 24 novembre 2015, une séance publique s’est tenue pour entendre les motifs de cette suspension. Lors de cette séance, Agropur et la CILQ se sont engagées à déposer de nouvelles études justifiant le maintien de la définition de « lait à valeur ajoutée », étude déposée en avril 2016. Une autre séance s’est déroulée ensuite peu après.

Puis, le 6 juin 2016, la Régie faisait marche arrière : Les laits microfiltrés, dans des contenants de plastique et avec vitamine D ajoutée ne seront pas assujettis à un prix maximum.

Tout ce qui lui reste à déterminer finalement, c’est de mieux comprendre la portion distribution des coûts pour fixer le prix du lait.

Bref, on revient à la case départ : qu’en est-il, donc, du questionnement existentiel de la Régie, de demander l’une des associations consultées?

Réponse obtenue la semaine dernière : « La Régie vous informe que la question du maintien du Règlement n’est plus considérée à ce stade du dossier ».

Voilà : on prend un autre appel!

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