En un an à peine, Couche-Tard quadruple ses postes d’essence à Montréal

À moins qu’ils ne soit subjugués par les cônes oranges ou trop stressés pour y prêter attention, les automobilistes montréalais ont sans doute remarqué ces derniers temps une présence accrue de hiboux rouges dans la métropole.

Ce n’est pas une illusion.

En effet, en seulement deux acquisitions annoncées au cours de la même année, soit en 2016, Couche-Tard a réussi l’exploit de multiplier par quatre son réseau de postes d’essence sur l’Île-de-Montréal, passant ainsi de 20 à 84 stations!

Autrement dit, alors qu’elle n’avait su ou pu acquérir que 20 stations d’essence à Montréal en 36 ans d’histoire, Couche-Tard a pu mettre la main sur 64 stations en deux vagues successives et cela, en une année seulement.

De fait, sur les 222 stations d’essence avec dépanneur que compte l’Île, Couche-Tard en détient désormais 84, soit 37,8% du total, bien plus que les 35% que le Bureau fédéral de la concurrence considère généralement comme étant la limite d’une position dominante dans un marché.

Si on prend toutefois en compte l’ensemble des postes d’essence incluant dépanneurs ET garages, le nombre de postes d’essence de Couche-Tard sur l’Île diminue à 30,8% de l’ensemble (soit 84 sur 276).

Quant à la part de marché du réseau Couche-Tard sur l’Île (soit la quantité d’essence vendue sur le total), elle doit être vraisemblablement plus élevée que son pourcentage de stations en raison de la grande qualité de ses sites, mais nous n’avons aucune donnée fiable à ce sujet.

Une croissance phénoménale en deux bonds successifs

L’explosion de l’offre d’essence par Couche-Tard sur l’Île-de-Montréal s’est faite en deux acquisitions successives, mais totalement distinctes l’une de l’autre.

PHASE 1 (1980-2016): Les stations services sont plus rares à Montréal qu’ailleurs car avec moins d’espace, il est plus difficile d’en implanter qu’en banlieue. De sorte qu’en 36 ans d’histoire, Couche-Tard n’a réussi à ouvrir ou à acquérir que 20 stations services sur l’Île de Montréal (sans compter ses 82 dépanneurs traditionnels, sans essence).
PHASE 2 (2016 – ESSO) : En mars 2016, Couche-Tard fait l’acquisition de 50 stations services Marché Express Esso dans la région de Montréal, dont 33 sur l’Île de Montréal. Ces stations sont qualifiées de « joyaux de la couronne » par le président Brian Hannash et comprennent pour la plupart des restaurants Tim Hortons. Cela vient plus que doubler le nombre de postes d’essence qui passent de 20 à 53.
PHASE 3 (2016 – CST BRANDS) : En août de la même année, Couche-Tard annonce l’acquisition de CST Brands, société texane qui exploite la bannière « Dépanneur du Coin Ultramar » au Québec. Sur les 200 points de vente de la bannière, Couche-Tard en conserve 109 dont 31 sur l’Île de Montréal, ce qui porte le nombre total de ses postes d’essence à 84.
Une sélection faite par le Bureau de la concurrence

Quant à la nature du processus par lequel s’est fait le partage des 200 stations « Dépanneur du Coin » entre Couche-Tard et Parkland, un lecteur avisé, M. Raphael Lebel, nous a écrit cette semaine pour nous rappeler que le président de Couche-Tard, Alain Bouchard, avait lui même indiqué qu’il voulait en garder le plus possible mais qu’il s’en était remis au Bureau de la concurrence pour déterminer lesquels ils pouvaient garder.

« Lorsqu’on dépasse 35% des parts de marché dans un secteur, dit Alain Bouchard, le Bureau nous demande de nous départir de certains actifs, et on l’accepte ». Extrait du livre Couche-Tard ou l’audace de réussir, p. 321

Au moment de l’acquisition de CST Brands, l’un des avocats de Couche-Tard avait travaillé pour le Bureau de la concurrence et connaissait donc bien les règles en cette matière, selon le livre de M. Bouchard.

Le fait d’avoir laissé le Bureau départager les actifs est confirmé par ailleurs dans un note aux actionnaires de Parkland émise en décembre 2016 :

Le nombre de magasins corporatifs de grande qualité que nous obtiendrons sera déterminé dans la foulée de l’examen de l’acquisition de CST par Couche-Tard qui est en cours par le Bureau fédéral de la concurrence. – Note aux actionnaires de Parkland.

Dans un communiqué distinct, le Bureau de la concurrence a fait état de cette transaction, de son rôle et de sa méthode en insistant sur le fait que l’élément le plus sensible constitue l’offre d’essence.

À l’instar de ces affaires précédentes, le marché de produit pertinent a été défini comme étant celui de la vente au détail d’essence, étant donné que les consommateurs d’essence ne peuvent se tourner vers d’autres carburants en raison des spécifications de fonctionnement de leur véhicule. Les marchés géographiques pertinents étudiés étaient locaux, compte tenu des coûts de transport et d’opportunité que suppose l’achat d’essence à des stations‑service éloignées. – Énoncé du Bureau de la concurrence, 6 juillet 21017.

Dans ce jeu d’échec où chaque magasin est un pion, Couche-Tard a dû parfois se départir de magasins existants au profit de nouveaux postes d’essence « Dépanneur du Coin » davantage convoités.

C’est d’ailleurs dans ce même communiqué du Bureau de la concurrence qu’on apprend que Couche-Tard a accepté de vendre un de ses magasins à Filgo-Sonic (celui de Piedmont), transaction que DepQuébec avait remarquée depuis longtemps (voir article ici) et trouvé étrange puisque Couche-Tard n’a pas l’habitude de vendre ses magasins à d’autres, mais bien d’en acheter à d’autres.

Par ailleurs, Couche-Tard semble avoir dû se départir de d’autres actifs aussi. DepQuébec a identifié au moins un magasin Couche-Tard dans les Laurentides qui est passé aux mains de Parkland.

Ce dépanneur avec essence Couche-Tard Shell est l’un des rares que nous avons trouvé a avoir été converti en « Dépanneur du Coin » Parkland. Situé sur la Montée-Gagnon à Bois-des-Filions, il a été cédé à Parkland dans le cadre du partage des actifs des 200 postes d’essence « Dépanneur du Coin Ultramar ». Sans doute question de « balancer » la transaction dont le montant a été fixé d’avance!

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