Entre Marché Express et sites “multicarburants”, Harnois soupèse ses options

Plus d’un an et demi s’est écoulé depuis qu’Esso L’Impériale a annoncé la vente de ses stations services Marché Express Esso à cing groupes au pays dont Couche-Tard, Parkland et Harnois pour ce qui est du Québec. Ce dernier a acquis 36 stations service Marché Express Esso tandis que Couche-Tard en a pris près de 300, dont 50 au Québec. Mais alors que Couche-Tard, aussitôt l’acquisition complétée, a immédiatement converti ses nouveaux sites sous sa bannière sans perdre une seconde, les 36 Marché Express acquis par Harnois n’ont toujours pas changé d’un iota. L’entreprise se dit toujours en réflexion quant à savoir comment intégrer ce réseau à son portefeuille existant de bannières, mais indique qu’elle prendra une décision prochainement.

C’est en gros ce qu’a confirmé lundi le siège social de l’entreprise questionné par DepQuébec quant à l’orientation qu’elle entend donner à ces actifs dans le contexte où le distributeur de Saint-Thomas, près de Joliette, jouit déjà d’un portefeuille comportant deux bannières bien établies, soit Le magasin, qui est sa marque maison de dépanneurs avec une quarantaine de magasins ainsi que Quali-T, une bannière de dépanneur obtenue dans la foulée de l’acquisition de Petro-T il y a deux ans.

Que faire de la bannière Marché Express?

Harnois a donc possiblement trois choix : conserver la bannière Marché Express, la remplacer pour sa bannière Le magasin ou encore, pour Quali-T. De ces trois choix, le second semble le plus probable. En effet, la bannière Marché Express est maintenant la propriété intellectuelle de Parkland, qui en a fait l’acquisition ainsi que le pendant anglophone de cette marque, On the Run. Harnois a confirmé à DepQuébec qu’elle pouvait continuer de se servir de cette bannière un certain temps. Toutefois, on voit mal comment l’entreprise voudrait la conserver puisque, d’une part, cette bannière est en déclin au Québec avec la perte d’une cinquantaine de points de vente devenus des Couche-Tard et d’autre part, pourquoi diable payer une redevance à un tiers quand on a déjà ses propres bannières?

Par ailleurs, on peut comprendre aussi ce qui fait hésiter Harnois. La bannière Marché Express fonctionne bien et le fait de changer de bannière n’aura pas d’impact significatif à court terme sur les ventes. Tout cela alors que les coûts de conversion d’un dépanneur sont relativement élevés lorsque multipliés par 36 (il convient en effet de changer l’enseigne mais également une bonne partie, sinon l’ensemble de l’aménagement intérieur). On parle bien entendu ici de plusieurs millions de dollars. De plus, l’impulsion de convertir ces bannières n’a du sens que si elle s’inscrit dans une stratégie de masse critique à long terme, ce que Couche-Tard réussit très bien avec maintenant près de 600 magasins au Québec sous la même bannière. Mais dans le cas d’Harnois, le chemin pour générer une masse critique est encore loin : le fait d’ajouter ou non 36 dépanneurs Le magasin à un réseau qui n’en compte qu’une quarantaine ne peut générer que des bénéfices à très très long terme et ce, pour des coûts significatifs à court terme.

Les 50 sites Marché Express acquis par Couche-Tard (ici, celui de Dorval) ont été aussitôt convertis sous la bannière du même nom…
…et ce, même si cela signifie la cocasserie d’ouvrir en face d’un Couche-Tard existant!… comme on le voit ici, à Dorval.
Des stations “multicarburants” pour une “transition énergétique”? De quessé?

L’achat des 36 stations services Marché Express par Harnois a représenté un investissement coûteux pour l’entreprise, d’ailleurs qualifié comme “le plus important de l’histoire de l’entreprise”. Bien que le prix de la transaction n’ait pas été dévoilé, Harnois étant une entreprise indépendante à capital fermé, on peut facilement le déduire à partir du coût payé par Couche-Tard qui, elle, n’a pas le choix de divulguer de telles informations étant une société publique dont l’action est transigée en bourse. Couche-Tard a ainsi payé 1,68 milliard $ pour 279 stations services, soit environ 6 millions $ pièce. Le même prix appliqué pour Harnois signifie une transaction de 216 millions $ au bas mot. Même en retranchant un million $ par site en moyenne, voire plus, pour être conservateur (et parce que les sites acquis par Harnois semblent en général moins achalandés que ceux acquis de Couche-Tard), Harnois s’est retrouvé à payer fort probablement entre 150 et 200 millions $ pour ces sites de qualité le plus souvent avec restaurant Tim Hortons ou autre.

Pas étonnant donc d’avoir fait appel à des investisseurs : par une injection de 45 millions $, la Caisse de dépôts et placements du Québec (30 millions $ sous forme de capital-actions) et le Fonds de travailleurs de la FTQ (15 millions $) sont venus au secours d’Harnois. Et parmi les facteurs qui semblent avoir enthousiasmé la Caisse se trouve l’engagement fait par Harnois envers le déploiement de bornes électriques, l’électrification des transport étant une lubie du gouvernement actuel. Les stations services, à ce jour, n’embarquent pas dans le train des bornes électriques mais seule Harnois y a consenti récemment, avec l’ajout de bornes dans quatre sites.

L’idée derrière cette vision, selon la Caisse, consiste à miser sur « le développement de sites multicarburants” qui pourraient être mis en place “au cours des deux prochaines années”. Et que diable est un site multicarburant? Simplement une station service qui offre des bornes électriques ainsi que du propane et du gaz naturel. Pour ce qui est des bornes électriques, Harnois a annoncé, en effet, l’installation de quelques unes (mais pas dans les sites Marché Express acquis) et d’après ce que nous pouvons voir, elles sont véritablement loin d’être prises d’assaut par les automobilistes, bien que Harnois a affirmé à DepQuébec que selon leur fournisseur FLO, “la moyenne d’utilisation au site de Sainte-Adèle est comparable à celle des autres bornes installées au Québec” et qu’il accueille “des électromobilistes chaque jour”.

Une borne pour l’une des 14 000 autos électriques ou hybrides sur un parc automobile 4,5 millions de véhicule.

Il est vrai que les bornes étant installées depuis peu, il est encore tôt pour faire des analyses exhaustives, comme le mentionne la porte-parole de l’entreprise, Élisabeth Karam. Mais plusieurs éléments nous font croire que Harnois est largement en avant de son temps : le petit nombre d’autos électriques (à peine 14 000 au Québec sur un parc de 4,5 millions de véhicules), le fait que la plupart des propriétaires s’équipent de recharge à la maison et aussi, la longue durée des recharges (surtout la moins rapide qui prend une heure trente environ) alors que les dépanneurs ne disposent pas nécessairement de salle d’attente. Il n’est donc pas très intéressant de contempler des tablettes de chocolat ou la beauté de l’asphalte pendant de très longues minutes le temps que soit rechargé le véhicule. Tant que la technologie ne sera pas améliorée, vive l’essence pour ce qui est de gagner du temps!

Harnois, pour sa part, réitérait que les nouvelles bornes s’inscrivent dans cette vision d’un réseau de stations-services multicarburants au Québec : « L’ajout de dispositifs pour des énergies telles que le propane et le gaz naturel comprimé est toujours à l’étude. Si tout va bien, nous serons en mesure de faire une annonce pour le service auto-propane au cours de l’été », a fait valoir le PDG, M. Serge Harnois, en mai dernier.

Ce concept de stations multicarburant est visiblement une bonne idée sur papier mais le test avec la dure réalité des détaillants reste largement à démontrer. Car ce n’est pas pour rien si les grandes pétrolières se départissent de leur réseau de vente au détail : les marges étant microscopiques, les sites sont très durs à rentabiliser. Autrement dit, c’est bien beau les nouveaux carburants, mais il faut que ça rapporte, sinon c’est la clé dans la porte.

Harnois est un distributeur pétrolier dynamique et en pleine croissance qui est décidément fort intéressant à suivre et sa diversification de plus en plus importante en tant que détaillant en alimentation représente un immense défi de gestion. Bravo à l’entreprise si elle démontre la viabilité et la pertinence de son modèle d’affaires “multicarburant” distinctif. En attendant, elle fait sûrement plaisir à la Caisse, ce qui est déjà ça de pris.

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