EXCLUSIF: 3 000 enfants vivent au coeur des cabanes à tabac depuis 15 ans mais pour Québec, ils n’existent pas

Même si vous passez des semaines à fouiller, il y a deux choses que vous ne trouverez pas :

  • 1) une citation empathique d’un politicien, ministre ou fonctionnaire québécois pour s’inquiéter le moindrement du sort des enfants qui, dans les réserves de Kahnawake et Kanesatake, grandissent toute leur vie encerclés par les cabanes à tabac illégales, enfumés par le tabac de contrebande et enterrés par les ziplocs de 200 cigarettes à 10 $ pièce auxquels ils ont très facilement accès (voir ici);
  • 2) des statistiques sur le nombre, voire même l’existence d’enfants dans ces réserves!

L’un ne va pas sans l’autre, en effet. Comment parler d’enfants quand on n’a même pas un seul chiffre à se mettre sous la main?

Mais tout comme en Union Soviétique à une certaine époque, l’existence de ces enfants semble avoir été rayée de la carte.

D’abord, comment se fait-il qu’on ne sache ni combien il y en a, ni quel est leur âge et autre? Parce que ces deux réserves, tiens donc, refusent depuis des lustres de participer aux recensements du gouvernement canadien. Contrairement à vous et moi qui n’avons pas le choix, les réserves ont le luxe de faire ce qu’elles veulent et certaines ne se sont pas privées d’envoyer promener le gouvernement.

Cela étant dit, la quasi totalité des réserves au pays participent aux divers recensements sauf 14 d’entre-elles, dont quatre au Québec incluant ces deux là, soit Kahnawake et Kanesatake (voir source ici). Bizarre, non?

De sorte que ces enfants n’existent nulle part : ni dans les statistiques, ni au gouvernement, ni dans l’esprit des politiciens ou des médias : NULLE PART.

Et ça prend bien DepQuébec, un portail sur les dépanneurs — oui monsieur — pour enfin leur donner un début d’existence, une toute petite et minuscule voix, un chuchotement dans le désert.

Et cela commence par une question : combien sont-ils? Bonne question.

Pour estimer leur nombre en l’absence de statistique, nous devons faire un détour.

D’abord, bien qu’ils refusent de participer aux recensements, les autochtones n’ont pas le choix d’être inscrits au Registre des Indiens du gouvernement fédéral s’ils veulent profiter de la panoplie de programmes de subventions et d’exemptions fiscales qui leur sont exclusivement destinés.

C’est à partir de ce fichier (mis à jour en 2012) qu’on établit la population totale de Kahnawake vivant sur la réserve à 7 745 habitants et de Kanesatake, à 1 383 habitants (source : ici). Mais cela ne nous dit rien quant aux couches d’âge de cette population.

Une manière très simple et crédible d’estimer le tout consiste à appliquer aux populations de ces deux réserves les courbes d’âge de la population totale autochtone au Canada en 2011 (voir ici). Cela donne le tableau suivant:

ESTIMATION DU NOMBRE D’ENFANTS À KAHNAWAKE ET KANESATAKE

Pop. totale
(NHS 2011)
Taux
Kahnawake
Kanesatake
Total
1 400 685
7 745
1 383
9128
0 à 4 ans
136 100
9,7 %
753
134
887
5 à 9 ans
125 835
9,0 %
696
124
820
10 à 14 ans
130 170
9,3 %
720
129
848
15 ans
28 910
2,1 %
160
29
188
16 ans
29 040
2,1 %
161
29
189
17 ans
27 905
2,0 %
154
28
182
2643
472
3115

Donc, nous estimons à 3 115 le nombre d’enfants d’âge mineur qui vivent dans les deux réserves et à 1 407 le nombre de jeunes âgés de 10 à 17 ans qui sont particulièrement susceptibles et vulnérables à commencer à fumer et qui ne bénéficient d’aucune des mesures de protection mis en place depuis 25 ans et dont tous les enfants québécois ont droit tels que : produits du tabac cachés à la vue des clients dans les dépanneurs, cartage systématique (aux dernières nouvelles, avec un taux record de 92 %), prix très élevés, absence de publicité, de promotion ou d’échantillonnage, etc.

Car pour ceux et celles qui l’ignorent, dans ces deux réserves, le tabac y est vendu, exposé, promu et exhibé autant sinon plus que des barres à chocolat. Et le fait d’être mineur n’est certes pas une raison pour ne pas vous en vendre.

Pour conclure, méditons sur cette parole transcendante du ministre des Affaires autochtones, l’ineffable Geoffrey Kelley, qui n’a pas son pareil pour se transformer soit en perron de porte, soit en paratonnerre afin que cet enjeu reste coûte que coûte sous le tapis, quoi qu’il arrive.

“La vente des cigarettes aux mineurs est inacceptable. Ça, c’est un objectif qui est partagé par les 125 députés ici, par l’ensemble de la société québécoise et également par le Conseil des Mohawks de Kahnawake. Mais je pense qu’il y a un autre constat qui est très important si on veut enlever ce fléau, il faut travailler ensemble avec le leadership de la communauté de Kahnawake pour arriver à cette conclusion. Le Conseil des Mohawks de Kahnawake est en train de développer un règlement de conseil de bande pour interdire la vente des cigarettes aux mineurs. Ça va donner le pouvoir aux Peacekeepers, qui sont les personnes responsables pour maintenir l’ordre dans la communauté, pour agir dans ce domaine.” — Geoffrey Kelley, 29 septembre 2016, en réponse à une question en chambre du député de Granby, François Bonnardel, à propos de la vente de tabac aux mineurs dans les réserves.

Hahaha… cré Geoffrey. En voilà un qui ne vole pas son salaire.

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