EXCLUSIF: À force de s’acharner, Québec réussit à faire chuter la conformité des dépanneurs en 2018

L’excellente conformité des dépanneurs québécois à carter les jeunes de moins de 18 ans, qui s’est bâtie lentement et sûrement au fil des ans et qui a fracassé un record l’an dernier, a connu une chute dramatique cette année que rien n’explique si ce n’est l’acharnement systématique des inspecteurs du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) et leur créativité sans limite lorsqu’il s’agit de les prendre en défaut.

En effet, c’est par le biais de la loi d’accès à l’information que DepQuébec a appris en exclusivité que la conformité des dépanneurs a connu une baisse aussi vertigineuse que surprenante cette année.

Ainsi, du 1er janvier au 10 septembre 2018, le MSSS a admis avoir pris en défaut 508 dépanneurs à vendre du tabac aux mineurs sur un total de 3727 inspections pièges (couvrant ainsi presque la moitié du réseau de 8000 détaillants), soit un taux de conformité de seulement 86,4%.

Or, si la quantité d’inspections est plus ou moins similaire à l’année précédente, le taux d’échec a pour sa part explosé de manière significative, passant de 7,8% en 2017 à 13,4% cette année, une hausse de 70%.

Ce phénomène est d’autant plus étonnant que le taux de conformité des dépanneurs québécois, l’un des plus élevés au Canada, a presque continuellement augmenté au fil des ans pour venir fracasser un record exceptionnel l’an dernier, soit 92,2% (voir article ici).

De fait, si le taux de conformité avait été similaire cette année à l’an dernier, seulement 291 dépanneurs auraient été pris en défaut au lieu des 508 rapportés, soit 217 de moins que cette année.

Mais comment une hausse aussi drastique du taux d’échec, de l’ordre de 70%, peut-elle ainsi se produire en une année? DepQuébec estime avoir trouvé un début de réponse.

Papier à rouler et autres astuces

L’explication la plus plausible de cette aberration statistique est que le MSSS a augmenté le degré de difficulté de ses pièges en ayant recours à toute une série de subterfuges pour surprendre les dépanneurs, dont le fait de tenter d’acheter non pas du tabac, mais bien des accessoires interdits comme le fameux papier à rouler.

En effet, cela fait quelque temps que les détaillants observent que les inspections pièges se concentrent de plus en plus sur cet item.

Lorsqu’il s’agit d’accessoires, il y a beaucoup de confusion qui existe dans ce qui est permis et interdit de montrer et de vendre aux mineurs.

Par exemple, plusieurs croient que les briquets font partie des accessoires de tabac alors que c’est faux. On peut les montrer au public sans problème et les vendre aux mineurs (avec discernement bien sûr), en autant qu’ils n’affichent pas de marque de tabac ou de cannabis.

Pour ce qui est du papier à rouler, il est considéré comme un produit du tabac selon la loi fédérale et celle du Québec.

Les autres provinces, en revanche, sont beaucoup moins enclines à aller aussi loin.

L’Ontario, qui est pourtant très strict sur les lois du tabac, n’interdit pas la vente de papier à rouler aux mineurs — se reposant sur l’interdit fédéral — et permet même aux détaillants d’étaler le papier à rouler à la vue des clients en autant que les produits offerts ne comprennent pas de marque de tabac. Idem pour la Colombie-Britannique, l’Alberta et plusieurs autres provinces.

Mais si le papier à rouler n’est pas une menace à la santé des jeunes dans la même mesure que le tabac, il demeure un excellent item pour prendre les dépanneurs en défaut étant donné qu’au Québec, il est considéré comme du tabac.

Cette contravention récente qui totalise 3750$ en ajoutant les frais provient d’un inspecteur mineur qui a demandé à acheter du papier à rouler, que le gouvernement considère comme étant du tabac. Les détaillants et leurs employés sont naturellement moins aguerris à la réglementation sur les accessoires de tabac et plus vulnérables aux erreurs, une faiblesse causée par la complexité de la loi et dont profite largement le gouvernement pour leur asséner des amendes.

Cela nous amène donc à nous interroger sur la philosophie du MSSS: cherche-t-on à redresser les commerces négligents ou souhaite-t-on plutôt générer aveuglement le plus d’amendes possibles?

Nouveauté: des inspecteurs mineurs issus de minorités visibles

Autre information digne de mention, DepQuébec a appris et vérifié que le MSSS a utilisé cette année au moins un inspecteur mineur issu d’une minorité visible pour prendre en défaut les détaillants.

Sans exclure le fait que cela a pu se produire avant, c’est la première fois que nous entendons parler d’une telle pratique de la part du gouvernement.

Or, il est très important que les commerçants soient mis au courant de cette pratique étant donné que l’apparence d’âge peut jouer des tours lorsqu’il s’agit de personnes issues de communautés ethniques.

Et il demeure que si le ministère de la Santé est techniquement en droit d’utiliser des inspecteurs mineurs de minorité visible et que les détaillants sont aussi en devoir de carter tous les jeunes, y compris ceux-là, un malaise persiste quant à cette façon de procéder puisque l’apparence physique est au coeur même de ce processus au point d’en faire partie de manière intrinsèque.

Personne ne voudrait que les minorités visibles se sentent discriminées en se voyant cartées plus rigoureusement ou plus systématiquement que les autres, et c’est possiblement une situation que le gouvernement pourrait être en train de créer ou d’encourager en associant des minorités visibles au processus d’inspection piège.

Des détaillants traités en criminels

L’accumulation d’astuces de la part du MSSS, le maintien d’un haut volume d’inspections pièges et une culture de gestion agressive qui s’est transformée en véritable politique de harcèlement au travail pour forcer les inspecteurs à livrer des résultats (voir article ici) est le résultat d’années d’accumulation de pouvoir législatif sans contrainte et sans limite, laissant à ce ministère le champ libre de faire à peu près ce qu’il veut.

Et tandis que l’ancienne ministre de la Santé publique Lucie Charlebois promettait, lors de la révision de la loi sur le tabac en 2015, de faire des efforts pour aider les détaillants à mieux se conformer, la seule politique qui tienne à date est celle du bâton de baseball.

Et celle, maintenant, des petites astuces songées lorsque le bâton ne suffit plus.

“Mais, ceci étant, je pense qu’on est mieux de faire de la pédagogie que de toujours mettre à l’amende, mais ça nous prend des outils. (…) On va examiner ça de près pour voir comment on peut s’assurer que c’est disponible pour tout le monde.” – Lucie Charlebois, ministre de la Santé publique, 31 août 2015

C’est à se demander ce qui attend les détaillants dans les prochaines années:

  • des inspecteurs mineurs de tous les horizons: asiatiques, africains, pakistano-indiens, sud-américains?
  • des inspectrices mineures enceintes?
  • des inspecteurs mineurs handicapés (en chaise roulante, aveugles ou malentendants)?
  • des inspecteurs mineurs tatoués, percés, chauves, barbus, voilés, déguisés?

Que les détaillants se le tiennent pour dit: en ce qui concerne la vente de tabac, les gants sont jetés.

Il s’agit non plus de promouvoir la conformité, mais bien de s’en prendre à des “détaillants criminels” dans le cadre d’une guerre de tranchées faite d’abus et de zèle réglementaire.

Un commentaire sur "EXCLUSIF: À force de s’acharner, Québec réussit à faire chuter la conformité des dépanneurs en 2018"

  • 24 mai 2019 à 05:30
    Permalink

    Justement je viens d’apprendre aujourd’hui qu’un Vape Shop ne peut vendre de grinder ça l’air alors que les 4 autres inspectrices n’ont jamais rien dit à propos de ça auparavant lors des précédentes visites et que mes fournisseurs nous vendent pourtant ce produit depuis plus d’un an! Un dépanneur peut les avoir à porter de main à côté de la caisse mais une vape shop ne peut même pas en vendre derrière le comptoir, du gros criss de n’importe quoi!

    Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *