EXCLUSIF : Le projet de loi C-236 pour limiter les frais de carte de crédit sera débattu dans un mois

Le rêve longtemps caressé de voir les frais abusifs de cartes de crédit plafonnés à 0,5 % par réglementation au Canada, comme c’est le cas en Europe depuis plusieurs années, vient de connaître un développement majeur et possiblement déterminant.

En effet, DepQuébec a appris en exclusivité que le gouvernement Trudeau a donné le feu vert pour que le projet de loi privé C-236 sur la limitation des frais de carte de crédit soit introduit en deuxième lecture le mercredi 2 mai prochain, soit dans très exactement un mois.

Or, si la première lecture qui date d’il y a deux ans (février 2016) est en quelque sorte une simple introduction, c’est véritablement en seconde lecture que les choses sérieuses se passent. Les parlementaires sont formellement saisis du projet de loi, en débattent le principe et en cas d’adoption, le renvoie à un comité des Communes pour y être étudié. Ce dernier décidera en outre d’entendre ou non des groupes externes pour se faire une opinion éclairée avant de revenir faire rapport au parlement.

De sorte que c’est en seconde lecture que ça passe ou ça casse!

Moment de vérité pour les détaillants

Ainsi, cela faisait deux ans que Linda Lapointe, nouvelle députée libérale de Rivière-des-Milles-Îles, avait déposé son projet de loi privé en première lecture dans la foulée d’une loterie parlementaire qu’elle avait remportée par pure chance et qui lui a donné ce privilège.

Et c’est avec une grande habileté politique que la députée a alors présenté un projet de loi aux répercussions majeures et gigantesques pour les détaillants canadiens.

Les frais de cartes de crédit représentent des milliards de dollars en dépenses annuelles « forcées » pour les détaillants mais aussi restaurateurs, hôteliers et autres. Le plafonnement règlementaire des taux à 0,5 % engendrerait des économies considérables pour l’industrie que DepQuébec estime à environ 4 milliards $ par année, la moyenne des frais facturés étant de 1,5% actuellement si l’on se fie aux dires des compagnies émettrices de cartes. À un point tel qu’il s’agirait d’une véritable manne qui tomberait pile alors que les gouvernements provinciaux font présentement exploser le salaire minimum un peu partout au Canada.

Selon la Banque du Canada, les frais abusifs de carte de crédit ont représenté un fardeau de 6,2 milliards$ pour les commerçants canadiens en 2014 et ce, pour des transactions électroniques dont le coût réel est minime, voire insignifiant.

Ce butin immense est présentement englouti sans aucune plus-value économique par la cupidité sans fond des compagnies de cartes de crédit aux pratiques déjà reconnues comme étant  « anticoncurentielles » par le Bureau de la concurrence du Canada.

Car si la plupart s’entendent que les frais de transaction de cartes de crédit au Canada sont parmi les plus élevés au monde, il demeure que le gouvernement fédéral a souvent répété qu’il n’existait aucune base légale ou mécanisme pour les plafonner, même s’il le voulait.

D’ou la pertinence du projet de loi C-236 qui, en un paragraphe, vient donner le pouvoir au ministre des Finances de plafonner de tels frais. Une approche habile puisque l’adoption du projet de loi n’oblige pas de faire un débat sur les taux, mais bien sur le principe que le ministre puisse agir!

La chaloupe devant le paquebot

En mettant ainsi de l’avant son projet de loi privé et ce, si tôt dans le mandat libéral de Justin Trudeau, Linda Lapointe a fait penser à une chaloupe voulant tirer un paquebot. Car de retour au pouvoir après un intervalle de 10 ans dans l’opposition, le gouvernement Trudeau a de nombreux chats à fouetter parmi lesquels les frais de carte de crédit ne font pas vraiment partie. Car sans être réfractaire à l’idée, en particulier suite aux efforts de la sénatrice Pierrette Ringuette qui en a fait un combat personnel, le plafonnement des frais de carte de crédit n’a jamais clairement fait partie des plans ou de la vision du premier ministre ni même de son ministre des Finances.

« Je suis positive »

C’est donc un pari extraordinaire que la néophyte députée fédérale et ex-propriétaire d’épicerie avait choisi de relever lorsqu’au début 2016, elle déposait son projet de loi privé.

En entrevue exclusive avec DepQuébec, celle-ci prend bien garde de pavoiser ou même de dire quoi que ce soit qui puisse devancer les intentions et annonces de son gouvernement.

Toutefois, son optimisme est palpable et elle ne s’en cache pas.

DepQuébec : Mme Lapointe, voici une question directe : le fait que votre projet de loi passera sous peu en seconde lecture est-il un signe que vous avez l’appui du gouvernement et du premier ministre pour plafonner les frais de cartes de crédit?

LL : Comme vous le savez, le ministre des Finances, M. Bill Morneau, a annoncé en 2016 une évaluation de l’écosystème des cartes de crédit. Cette étude n’est pas encore complétée. En attendant, je demeure positive quant à l’évolution du dossier en général. Le fait que le projet de loi passe en seconde lecture est très certainement un signe tout aussi positif.

DepQuébec : Avez-vous senti de nombreux appuis pour votre initiative parmi les détaillants canadiens?

LL : Oui, énormément. Non seulement les détaillants en général, mais aussi les restaurateurs. Et j’ai pu voir chez mes collègues, autant dans la députation qu’au cabinet, les attitudes et perceptions évoluer sur cette question depuis les deux dernières années.

DepQuébec : Le couple Visa et MasterCard a conclu avec le gouvernement précédent une entente volontaire de cinq ans pour réduire la moyenne des frais imposés à 1,5 %. Or, cette entente se termine en 2019. Avez-vous une indication de ce que compte faire le gouvernement à ce sujet?

LL : Comme je vous l’ai dit, je demeure positive et optimiste quant à l’évolution du dossier. Cet enjeu touche de plein fouet les intérêts de la classe moyenne et comme vous le savez, la classe moyenne est au cœur de l’action politique de notre gouvernement.

DepQuébec : Avez-vous de la difficulté à intéresser vos collègues à cette question sachant que les frais d’interchange sont cachés du public et que n’eut été votre expérience comme propriétaire d’épicerie, vous ne les connaîtriez sans doute pas?

LL : Un des éléments qui a eu beaucoup d’impact est lorsque Walmart a décidé, à un moment donné, de ne plus accepter la carte VISA au Canada. Ce geste d’un détaillant aussi important a sensibilisé beaucoup de députés.

DepQuébec : Mme Lapointe, un grand merci et sachez que vous avez l’appui entier de tous les dépanneurs au pays.

LL : Merci!

Un projet de loi privé émanant d’un député a-t-il de réelles chances de devenir loi?

Dans notre système parlementaire, les projets de loi qui n’émanent pas des députés membres du cabinet ministériels sont appelés « privés ». La plupart des projets de loi privés ne deviennent pas loi mais il arrive que certains y parviennent. C’est que le temps dévolu pour en débattre est de beaucoup réduit par rapport aux projets de loi ministériels et advenant que les débats s’étirent, le temps manque pour passer au vote et ils se voient ainsi abandonnés et retirés du feuilleton.

Dans le cas du C-236 toutefois, plusieurs éléments nous laissent cependant espérer qu’il pourrait connaître une issue gagnante :

  • il émane d’une députée du parti au pouvoir, au sein d’un parti qui laisse une plus grande place à la voix et la contribution des simples députés;
  • lors de son dépôt en 2016, il a été suivi d’un hiatus de deux ans permettant au ministre des Finances de faire une évaluation exhaustive sur le sujet, donc d’en étudier toutes les ramifications à son rythme;
  • les partis d’opposition appuient massivement le projet de loi C-236 et se font même un malin plaisir de presser le gouvernement sachant qu’il émane de sa députation;
  • le projet de loi en lui-même est très habile car il se limite à donner le pouvoir au ministre, et non décréter lui-même un plafonnement des frais. S’il est adopté, cela ne veut pas dire que les frais seront plafonnés, mais cela rend la chose fort plausible.

Selon Michel Gadbois, président de l’Association québécoise des dépanneurs en alimentation (AQDA) et ex-employeur de Linda Lapointe, la seconde lecture est sans contredit une occasion unique à saisir pour pouvoir baisser les taux une fois pour toutes.

« Tous les acteurs de l’industrie du détail devraient se rallier sans exception à cette initiative. Depuis que l’Europe a plafonné ses taux il y a quelques années, les commerçants canadiens ont englouti des dizaines de milliards $ en frais de cartes de crédit, soit autant sinon plus que l’ensemble de leurs profits. C’est assez! » – Michel Gadbois, président de l’AQDA

Un mois de pure et totale mobilisation pour économiser 4 milliards $ par année à vie, est-ce trop demander à l’industrie du détail? Nous ne le pensons pas.

« L’objectif est de diminuer les frais de transaction, les frais d’interchange, des cartes de crédit pour les commerçants. Il faut savoir que les petits commerçants ont besoin d’une marge de manoeuvre et que nous sommes le parti de la classe moyenne. » – Linda Lapointe, 25 février 2016 lors du dépôt du projet de loi C-236 à la Chambre des communes.

 

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