EXCLUSIF : Lucienne Robillard DÉPLORE l’inaction face au monopole de la SAQ

Celle à qui le premier ministre Philippe Couillard a confié les rênes d’une vaste réflexion sur la revue des programmes en 2014 et dont la fameuse commission est devenue associée à son nom, est sortie de son mutisme hier pour la première fois depuis la publication de son rapport final il y a presque deux ans, en août 2015, pour déplorer l’inaction du gouvernement face au monopole de la SAQ.

En entrevue exclusive à DepQuébec, Mme Lucienne Robillard, ex-présidente de la Commission de la révision des programmes et ancienne présidente du Conseil du trésor à Ottawa, s’est montrée déçue que rien n’ait été fait à date pour ouvrir le marché de la vente d’alcool au Québec.

« Notre rapport a dénoncé le manque d’efficience de la SAQ et recommandé non pas de la privatiser, mais de libéraliser le marché pour permettre la concurrence par la venue de magasins spécialisés ou autres. Or, depuis deux ans, on a agi seulement sur le plan de l’efficience de la SAQ. Pour ce qui est la libéralisation, rien n’a été fait », a indiqué Mme Robillard rencontrée à l’occasion d’une réception à Chambly.

On sait que la SAQ, depuis quelque temps (voir ici, ici et ici), multiplie les initiatives pour renforcer sa productivité. On l’a vu notamment annoncer des coupures de personnel mais aussi, mettre en branle des vagues successives de baisses de prix de ses vins qui ont été longtemps, et sont encore dans une large mesure, beaucoup plus chers que les mêmes vins offerts à la LCBO voisine, en Ontario.

Interrogée quant à savoir si l’ouverture fréquemment exprimée par le ministre des Finances, Carlos Leitao, pour un changement de modèle ne serait qu’un moyen de pression exercé sur la SAQ pour l’inciter à réduire ses coûts, Mme Robillard a réitéré que “rien n’a été fait pour libéraliser le marché de la vente d’alcool depuis deux ans”. En mars dernier, le quotidien La Presse rapportait que le ministre Leitao semblait vouloir reléguer la libéralisation au rancart, ce dernier semblant satisfait des efforts fournis par la SAQ .

Rappelons que Mme Robillard a été nommée à la tête de la commission de révision des programmes par le gouvernement Couillard en juin 2014 (voir reportage de Radio-Canada), soit quelques mois seulement après l’élection du gouvernement libéral de Philippe Couillard.  Face à l’état critique des finances publiques selon le gouvernement, la commission a reçu pour mandat de proposer la mise en place d’un mécanisme permanent de révision des programmes ainsi que d’aller chercher pour 3,2 milliards $ d’économies dans le budget de l’année suivante. Un premier rapport, sorti en novembre 2014, a identifié pour 2,3 milliards d’économie mais les mesures, jugées trop drastiques, avaient été alors dénoncées en bloc par le monde municipal, agricole et les grandes centrales syndicales. Puis, un second rapport final, publié en 2015, proposait un nouveau train de mesures dont celle de « remettre en cause le monopole » que détient la SAQ en « libéralisant le commerce des vins et spiritueux ».

« Vous savez, la SAQ, de notre point de vue, ça ne vaut rien. En fait, c’est son statut de monopole qui lui procure une certaine valeur. Ce qu’il faut faire, c’est libéraliser. […] On le fait pour l’alcool, pour les cigarettes. […] La SAQ là-dedans aura à tirer son épingle du jeu », avait alors déclaré le commissaire Robert Gagné.

Deux ans après cet exercice, force est de constater que très peu des recommandations précises proposées par la commission ont été entérinées à date par le gouvernement. Sur sa page internet, le Secrétariat au Conseil du trésor indique de manière très vague qu’à la suite des recommandations de la Commission, “un mécanisme de révision des programmes a été mis en place à l’échelle gouvernementale.”

Une sortie remarquable à plusieurs égards

La sortie publique à laquelle Mme Robillard a consenti hier est remarquable dans la mesure où celle-ci n’est pas réputée pour semer la controverse ni lancer des propos à l’emporte-pièce.

Grande dame de la politique québécoise et canadienne, Lucienne Robillard a siégé durant 17 années comme députée pour un parti au pouvoir et ce, tant à Québec qu’à Ottawa. Élue comme députée à l’Assemblée nationale sous la bannière du Parti libéral en 1989, elle a été ministre des Affaires culturelles et ministre de l’Éducation et de la Science sous Robert Bourassa et ministre de la Santé et des Services sociaux sous Daniel Johnson. Lors de l’élection générale suivante, elle est défaite dans sa circonscription de Chambly. Présidente de l’aile québécoise du Parti libéral du Canada, elle est élue députée fédérale de Westmount-Ville Marie le 13 février 1995 et siégera jusqu’au 25 janvier 2008 sous les règnes de Jean Chrétien et Paul Martin. Au sein du gouvernement Chrétien, elle a occupé plusieurs postes ministériels, dont ministre du Travail, ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, et Présidente du Conseil du Trésor. Sous Paul Martin, elle a été ministre de l’Industrie, ministre des Affaires intergouvernementales ainsi que Présidente du Conseil Privé. Après la défaite des libéraux lors de l’élection fédérale canadienne de 2006, elle est nommée chef adjointe de l’Opposition. Elle démissionne de son poste en janvier 2008 (sources : Assemblée nationale et wikipedia).

Sa carrière politique prolifique s’étend donc sur quatre décennies et elle peut se targuer d’être l’une des seules politiciennes, sinon la seule, à avoir rempli une charge ministérielle autant à Québec qu’à Ottawa.

Sa feuille de route, sa crédibilité, ses compétences et son appartenance de longue date au parti ont sans doute pesé lourd dans la balance lorsque le premier ministre Philippe Couillard l’a choisie en début de mandat pour mener à bien cette délicate opération devant aboutir ou non à d’importantes réformes de l’appareil gouvernemental afin de redresser les finances publiques et d’assouvir l’appétit de changement d’une bonne partie de l’électorat. Son allégeance libérale indéfectible qu’elle a maintenue tout au long de sa carrière rend sa sortie d’hier encore plus percutante eut égard à la culture du Parti libéral qui privilégie habituellement l’affrontement des divergences d’opinion derrière des portes closes et non pas en public, par des médias interposés.

Que Mme Robillard se soit tournée vers cette option reflète vraisemblablement sa profonde exaspération face à la lenteur et à l’inertie du gouvernement libéral devant la situation de monopole de la SAQ qui semble vouloir s’éterniser encore à l’infini.

 

Crédit photo : DepQuébec : Lucienne Robillard à Chambly, le mercredi 14 juin 2017.

 


La commission Robillard en bref :

Nom : Commission de révision des programmes

Mandat : Formuler des recommandations concernant les programmes à réviser, en collaboration avec les ministères et organismes, et en tenant compte des opinions exprimées dans le cadre du dialogue social. Identifier des révisions de programmes permettant de contribuer à atteindre les cibles budgétaires pour l’exercice financier 2015-2016, telles que définies dans le budget 2014-2015.

Durée des travaux : 11 juin 2014 au 31 août 2015

Membres :

Présidente : Lucienne Robillard

Commissaires :

  • Claude Montmarquette, économiste
  • Robert Gagné, économiste
  • Michèle Bourget, ex-administratrices d’État
  • Mireille Fillion, ex-administratrices d’État

Grandes dates :

JUIN 2014 : Annonce de la nomination de Lucienne Robillard à titre de présidente et de celle des membres, soit les économistes Claude Montmarquette et Robert Gagné ainsi que les ex-administratrices d’État Michèle Bourget et Mireille Fillion.

NOVEMBRE 2014 : Dépôt du premier rapport qui propose 2,3 milliards de dollars de compressions possibles au Québec pour arriver à éliminer le déficit dès l’année suivante. Parmi les économies proposées : l’aide financière aux municipalités (jusqu’à 1,3  milliards de dollars), l’aide aux agriculteurs (300 millions $), le Programme de places à contribution réduite dans les services de garde éducatifs (378 millions $), etc.

JUIN 2015 : Dépôt du sommaire du deuxième rapport intitulé Cap sur la performance

AOÛT 2015 : Dépôt du second rapport final qui propose entre autres le transfert à Ottawa de la perception des impôts provinciaux et la libéralisation du marché de la vente d’alcool au Québec.

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