EXCLUSIF — Postes Canada coupe de 20% les honoraires qu’elle verse à des dépanneurs avec comptoir postal

Postes Canada a récemment soustrait 20% des honoraires annuels qu’elle verse à des dépanneurs pour défrayer l’exploitation d’un comptoir postal et ce, de manière unilatérale et sans avertissement.

En effet, selon ce qu’a appris DepQuébec en exclusivité, au moins deux dépanneurs ayant une entente de concessionnaires agréés ont confirmé ce fait qui s’est produit l’un il y a quelques mois, l’autre il y a près de deux ans. Dans les deux cas, le montant d’honoraires annuels consenti est passé de 25000$ à 20000$, soit une perte de 5000$ annuellement.

Ces honoraires établis en fonction de l’atteinte d’un certain volume s’ajoutent aux commissions versées sur les ventes (livraison de colis et autres) pour totaliser l’ensemble des revenus perçus par le dépanneur et qui servent essentiellement à rémunérer le personnel au comptoir qui dessert la clientèle, souvent durant de longues heures en semaine. De fait, les dépanneurs font en général très peu de profit, sinon pas du tout, sur l’exploitation d’un comptoir postal dont la valeur réside surtout dans le fait qu’il génère de l’achalandage en magasin.

Cette baisse de revenus dévastatrice pour les dépanneurs visés leur a par ailleurs été laconiquement communiquée par le biais d’une lettre aseptisée dont DepQuébec a obtenu copie et qui est tout sauf un modèle de compassion et d’empathie.

Martin Sarch

« Chaque année Postes Canada fixe les honoraires d’exploitation versés aux concessionnaires sous la forme d’un crédit sur la facture mensuelle du concessionnaire, conformément à l’article 8.4 de la Convention de concession. (…) Comme vous pouvez le constater, la plus récente Convention de concession offerte par Postes Canada diffère de la dernière, ce qui inclut un changement aux honoraires d’exploitation annuels. Le montant susmentionné reflète ce changement. » – Martin Sarch, directeur du réseau de vente au détail, Postes Canada

Postes Canada insiste : les dépanneurs ont été prévenus

Contactés par DepQuébec, la porte-parole de la société, Sylvie Lapointe, reconnaît les faits mais insiste pour dire que les dépanneurs ont été prévenus.

« Postes Canada révise ses ententes et partenariats régulièrement afin de mieux les aligner sur ceux de la concurrence et de pouvoir continuer d’investir dans ses établissements, son réseau et ses produits. En 2013, les concessionnaires agréés ont reçu de l’information concernant des modifications qui entreront en vigueur lors de leurs renouvellement de contrats avec Postes Canada. » – Sylvie Lapointe, Postes Canada

Ce n’est toutefois pas l’avis d’un propriétaire à qui nous avons parlé et qui est tombé des nues en étant mis devant le fait accompli.

« On n’a jamais eu d’information. Je m’en serais souvenu. Ils ont peut-être glissé une petite note dans un long document, mais autrement, c’est une surprise totale. » – Jean-Louis (nom fictif), propriétaire de dépanneur exploitant un comptoir postal.

Jean-Louis estime par ailleurs qu’il lui est de plus en plus difficile d’atteindre le chiffre d’affaires nécessaire pour toucher la pleine allocation maintenant rendue à seulement 20000$ au lieu de 25000$ et que par-dessus le marché, Postes Canada lui fait directement concurrence en sollicitant ses meilleurs clients!

Selon Mme Lapointe, il  y aurait 120 dépanneurs au Québec exploitant un comptoir postal sur les 490 que compte le Québec et dont le nombre est en croissance. De plus, chaque contrat est « confidentiel, spécifique et individuel à chaque concessionnaire », a-t-elle ajouté. 

Un autre propriétaire à qui nous avons parlé indique que cela fait près de deux ans que Postes Canada a réduit ses honoraires. Il estime qu’il est très difficile de rentabiliser le comptoir et qu’il doit y mettre lui-même de nombreuses heures, n’ayant pas les moyens d’embaucher un employé à temps plein pour s’en occuper.

Ce n’est pas le Pérou, Oh que non!

D’autres dépanneurs parmi ceux à qui nous avons parlé en avait long à dire quant à leur frustrations envers ce service et leur relation tendue avec Postes Canada.

Robert (nom fictif), propriétaire d’une épicerie de quartier, dit ne toucher qu’environ 700 $ par mois en honoraires, soit environ 8000$ par année, alors qu’il lui en coûte pas loin de 40000$ en salaires pour offrir le service de 7h30 à 18h, soit 52,5 heures par semaine plus environ 5 heures les week-ends.

« C’est sûr qu’on a vu la différence d’achalandage dans le magasin à un moment donné quand le service a été affecté par un conflit de travail à Postes Canada. C’est pour ça qu’on garde le comptoir. Mais ils nous tiennent ainsi dans des conditions d’affaires très difficile. » – Robert, propriétaire d’épicerie avec comptoir postal (nom fictif).

Les commissions sur les ventes n’arrivent pas à combler la différence et de plus, étant donné que le service est des plus complexes et nécessite même deux semaines de formation à un nouvel employé, Robert se sent obligé de les payer 50 sous de plus de l’heure que le salaire minimum pour les garder.

Selon ce dernier, le concessionnaire doit travailler beaucoup pour très peu et lorsque des problèmes se présentent, il est très difficile d’avoir des réponses de la part de Postes Canada, qu’il dit percevoir comme une immense bureaucratie.

« Les clients nous parlent comme si on est des employés de Postes Canada. Ils se plaignent de toutes sortes de choses mais nous n’avons absolument aucun contrôle ni aucune information à leur donner ». – Robert

Un autre dépanneur à qui nous avons parlé, appelons-le Thomas, est situé en région éloignée. Il est quant à lui « Maître de poste », à savoir qu’il est rémunéré directement par Postes Canada pour les heures qu’il met au comptoir. Sauf que même lui,  il a aussi subi des coupures du même ordre.

« Moi aussi j’ai été coupé de 20% environ, car mes heures sont passées de 24 à 20 par semaine depuis un an environ », a-t-il affirmé à DepQuébec.

Quand à Stéphanie (nom fictif), une propriétaire de dépanneur, elle dit n’avoir subi aucune réduction à date mais elle se contente, pour sa part, de louer un espace dans son commerce, et non pas d’administrer le comptoir… ce qui illustre bien la diversité des ententes que la société tisse avec le réseau de détail.

Une tuile de plus à s’abattre sur l’industrie

La question qui se pose est de savoir si Postes Canada abuse de sa position dominante pour forcer les dépanneurs et épiceries à livrer un service à perte.

Peut-être souhaite-t-elle aussi les éliminer au profit des pharmacies. Avec les marges supérieures dont elles diposent sur la vente de médicament d’ordonnance, celles-ci semblent plus à mêmes à vouloir offrir ce service bien qu’encore là, cela semble de moins en moins évident comme le démontre la vente récente du Groupe Jean-Coutu à Metro.

Chose certaine : pour les dépanneurs, exploiter un comptoir postal de manière rentable relève davantage de l’exploit et s’avère de plus en plus l’exception, et non la règle.

Les coupes de 20% d’honoraires annuels d’un service à peine rentable arrivent aussi en même temps que la hausse du salaire minimum à 12$ au Québec, soit une augmentation de 6% en seulement 12 mois.

Elles s’ajoutent par ailleurs aux frais de cartes de crédit parmi les plus élevés au monde, à la contrebande de tabac, aux prix minimum du lait, de la bière et des exigences toujours plus grandes de la consigne dont le montant compensatoire de deux sous le contenant est inchangé depuis… 1984.

Il y a une limite à vouloir traire les dépanneurs comme des vaches à lait. À un moment donné, quelque chose va casser. Et à ce moment-là, ce sera non seulement les fournisseurs comme Postes Canada mais bien tout le Québec qui y perdra au change, un processus qui est malheureusement déjà bien entamé alors que les plus fragiles ferment déjà les uns après les autres.

Il n’y a pas d’avenir pour un service à peine rentable et dont on coupe les revenus de 20%, d’autant plus que le salaire minimum est augmenté de 4%, voire 6% par année et ce, depuis 10 ans.

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