Fort de son passé glorieux, la livraison par les deps demeure l’apanage des indépendants

Dépanneur et livraison ne faisaient qu’un à l’époque. Comment oublier le fameux vélo de livraison de dépanneur, idéal pour y transporter caisses de bière et sacs d’épicerie et pouvant se moquer de toutes les tempêtes?

Le vélo de livraison du Dépanneur Léo.

Sur la couverture du livre “Sacré Dépanneur” de Judith Lussier, c’est la première chose qu’on voit.

Et pour cause.

Car il fut une époque, aujourd’hui révolue, où dépanneur était synonyme de livraison.

De nos jours toutefois, les dépanneurs qui livrent encore se font plus rares, mais sont toujours présents. Ici et là, ils poursuivent la tradition en en faisant soit leur spécialité, soit l’extension de leur spécialité.

Mais il n’est pas dit que les choses en resteront là car en matière de commerce de proximité, rien n’est assuré sinon le changement perpétuel!

La livraison: chasse-gardée des indépendants sans essence

Un rapide tour d’horizon de la livraison par dépanneur au Québec montre que celle-ci est loin d’avoir atteint son plein potentiel:

  • Parmi les 6500 dépanneurs au Québec, une infime minorité offrent la livraison. À vue de nez, on en dénombre une vingtaine à Laval, une trentaine à Montréal et une dizaine sur la Rive-Sud. Ailleurs au Québec, cela varie selon les villes. À Gatineau, on en dénombre beaucoup tandis qu’à Trois-Rivières, Québec et Sherbrooke, ils se font plus rares.
  • Les dépanneurs avec essence et les grandes chaînes se tiennent loin de la livraison (sauf bien entendu les supermarchés dont les trois grandes bannières — Maxi, IGA et Metro — offrent tous le service d’épicerie en ligne). De fait, la très vaste majorité des dépanneurs qui offrent la livraison sont exploités par des propriétaires indépendants, la plupart du temps sans bannière, mais quelque fois avec bannière (Beau-Soir, Boni-Soir et 7 Jours en particulier).
  • La livraison semble être aussi une question de secteur. Dans certaines zones à Laval, Montréal et sur la Rive-Sud, elle pullule comme par effet d’entraînement où en raison d’une demande plus élevée. À Montréal, elle semble très vivante dans l’est, le nord et le centre-ville, mais quasi-absente dans l’Ouest-de-l’Île.
Mais c’est aussi un “paquet de troubles”

Plusieurs explications viennent en tête pour expliquer la mainmise des indépendants sur la livraison.

D’abord, la livraison est une promesse faite auprès de la clientèle qui, advenant qu’elle soit mal exécutée, viendra affecter la réputation du commerce, causer de l’insatisfaction, voire engendrer des plaintes et des mauvais commentaires sur internet. Les impacts négatifs seront moins dommageables auprès d’un indépendant que d’une bannière connue.

Par ailleurs, pour qu’elle soit rentable, il faut qu’il y ait du volume. Or, pour générer du volume, il faut investir, voire offrir la livraison à perte pendant plusieurs mois, voire même quelques années s’il le faut, avant d’être réellement établi.

Toutefois, un petit commerce indépendant, sans essence, y verra quand même une opportunité pour augmenter les ventes. La livraison peut alors s’avérer une alternative intéressante pour élargir les limites géographiques naturelles du dépanneur à un secteur beaucoup plus grand.

Le fait que les grandes chaînes de dépanneur comme Couche-Tard, Voisin ainsi que les stations service ne font généralement pas de livraison vient ajouter à l’opportunité de se lancer dans le service.

Enfin, tandis qu’autrefois, il était permis de livrer du tabac, aujourd’hui, le nerf de la guerre est la bière. Certains, comme le Dépanneur Nobert à Longueuil spécialisé dans l’offre de bière, mettent de l’avant la livraison en tant qu’extension de leur positionnement.

La vaste majorité des dépanneurs qui offrent la livraison sont exploités par des propriétaires indépendants et sans bannière. Mais tous sont d’accord sur une chose: la livraison, c’est un paquet de troubles!
Pierre Beaudin, lui, y croit!

Propriétaire du Dépanneur Qui Livre dans le secteur Sainte-Foy à Québec (dont on voit la photo en une de cet article), Pierre Beaudin fait partie de ceux qui croient dur comme fer dans l’opportunité d’offrir la livraison.

À l’instar des propriétaires qui misent sur la microbrasserie, le prêt-à-manger ou encore la restauration, Pierre Beaudin fait quant à lui le choix stratégique de miser sur la livraison. Et ça marche!

Ainsi, il a relancé le service de livraison l’an dernier après un hyatus de dix ans.

Pour un frais minime de 1,99 $, le client peut se faire livrer chez lui tout ce qu’il y a dans le dépanneur — sauf le tabac — et selon les produits commandés, il paie une surcharge d’environ 10% sur les prix offerts en magasin. Il n’y a pas de commande minimum et le service est offert de 15h à 22h30 tous les jours.

Pierre Beaudin, proprio du “Dépanneur Qui Livre” à Sainte-Foy, Québec.

“Comme j’ai les meilleurs prix de bière qui soient, les clients sont gagnants, même avec une surcharge de 10%”, raconte Pierre Beaudin.

Ce dernier a embauché trois livreurs à qui il fournit tout: voiture, essence et assurance, pour assurer le service sept jours sur sept.

“J’ai relancé le service en octobre 2017 et présentement, je suis à 90% de mon objectif de ventes. J’ai pu compter fort heureusement sur l’appui enthousiaste de mes fournisseurs, notamment Labatt et Coca-Cola, et je me suis associé aussi avec deux restaurants voisins, soit une pizzeria et un restaurant chinois, pour ajouter de la valeur à la livraison”.

Selon Beaudin, la clientèle grandit sur une base continue. Le fait de se démarquer en offrant un service de livraison fait connaître le dépanneur et accroît son rayonnement.

“La livraison, ça aide à me faire connaître. Pour la promouvoir, j’ai misé sur de l’affichage en dépanneur, les médias sociaux, des pamphlets et aussi, de temps en temps, j’offre la livraison gratuite. Pour moi, ça n’a pas été une grosse décision à prendre, car je savais comment ça fonctionnait. La technologie a peut-être changé, avec la machine à débit et le paiement direct, mais autrement, c’est la même chose qu’avant.”

Des nouveaux modèles de livraison en émergence

Face aux attraits de la livraison et devant la rareté du service, plusieurs tentent de la réinventer en particulier lorsqu’il s’agit de la bière. Mais la joute n’est pas facile.

D’abord, il y a les contraintes réglementaires. Les firmes spécialisées comme Foodora et autres peuvent livrer sans problème des mets de restaurant et commandes d’épicerie mais n’ont pas le droit de transporter de l’alcool: seul un employé d’un détenteur d’un permis peut le faire. Ils ont bien tenté de lancer le service (voir ici et ici) mais se sont fait rapidement rappeler à l’ordre par la RACJ.

Des initiatives pour contourner ce problème ont été tentées, notamment par Labatt qui a lancé avec grand bruit l’application Bob Le Livreur en 2015. Cette application téléchargeable sur son portable permettait de commander de la bière mais Labatt a mis rapidement fin à cette expérience.

« Dans le cadre de notre première tentative de commerce électronique, nous avons lancé l’application Bob en version bêta en 2015. Bob nous a permis de collaborer avec de multiples détaillants partenaires dans la région de Montréal et d’en apprendre davantage sur les besoins de livraison à domicile des consommateurs. L’application bêta a été fermée en 2016. Nous appliquons les précieuses leçons tirées de cette expérience à de nouvelles solutions de commerce électronique sur lesquelles nous travaillons actuellement. » – Labatt

Avec son interface mobile conviviale et son personnage barbu et coloré qui s’adresse à la clientèle en québécois de tous les jours, Bob Le Livreur a misé sur la commodité offerte aux consommateur pour promouvoir les ventes de produits Labatt par l’intermédiaire d’un réseau de détaillants participants. L’expérience, intéressante et audacieuse, a fait long feu, sans qu’on sache précisément si c’est par manque de volume ou problèmes de logistique de livraison.
Bière sans limite: un modèle qui marche depuis 2016

Mais si Bob le livreur n’a pas levé, Bière sans limite, quant à elle, est toujours bien en vie… et ouvert à l’expansion!

À Québec, Jimmy Saint-Pierre et Jean-François Rioux se sont lancés dans la livraison de bière en devenant partenaires-employés de deux dépanneurs bien implantés, soit Accommodation ChaLou à Québec et Marché Pie-XII de Beauport.

Ils ont créé eux-mêmes une plate-forme internet transactionnelle de commande en ligne de bière. De plus, imitant le concept Amazon Prime, ils offrent la possibilité de souscrire à un abonnement de 6,00$ par mois ou 60,00$ par année pour bénéficier de la livraison gratuite ainsi que de rabais de 10% sur les prix de la bière en magasin.

“Le problème des détaillants, c’est d’avoir à se construire eux-mêmes un site web, une plate-forme de vente en ligne. Là, ça commence à être compliqué pour eux. Donc, nous ce qu’on fait, c’est de leur fournir cette plateforme là et de faire la livraison en même temps. On s’occupe de la livraison, c’est nous qui gérons le transactionnel du web, les commandes aux livreurs, tout ce qui passe par le web, c’est nous qui nous en occupons.” — Jimmy St-Pierre

Bière sans limite est la seule initiative à date qui offre une plate-forme de commande sur Internet. Autrement, dans la plupart des cas, les clients doivent commander soit par téléphone, soit via la page facebook des commerces qui livrent en spécifiant les produits demandés, et non en choisissant parmi une liste de produits et de prix.

Lancé en mars 2016, Bière sans limite livre tous les soirs entre 17h-21h la semaine et 16h-21h les fins de semaine. En dehors d’un abonnement, le frais de livraison est 3,00$, la commande minimum 12$ et une surcharge de 3$ s’applique sur une caisse de 12, 4$ sur une caisse de 24 et/ou en fonction de la valeur du panier livré.

La plateforme transactionnelle de Bière sans limite permet de s’abonner sur une base mensuelle ou annuelle pour bénéficier de la livraison gratuite et de rabais sur les produits en magasin.

Selon Jimmy Saint-Pierre, le service dispose aussi d’une application mobile pour rejoindre les jeunes.

“C’est toujours en croissance. On sent vraiment que le plein potentiel n’est pas encore atteint. C’est surtout une question de notoriété. Une fois que quelqu’un connaît le service et l’essaie, il se rend compte que c’est vraiment pratique. Ce client-là risque de commander régulièrement, et ça augmente graduellement de mois en mois.”

Il est très rare qu’une livraison ne comprenne pas de bière. De fait, la bière et le vin comptent pour 80% de la livraison. Le reste étant les croustilles, le chocolat, le lait et le pain.

La clientèle est variée : souvent une personne ayant une mobilité réduite, pas d’auto, restant en appartement.

Enfin, avis aux intéressés: Bière sans limite se dit ouvert aux partenariats et aux franchises avec tout détaillant voulant bénéficier de leur plateforme transactionnelle.

Et les gros joueurs dans tout ça?

La livraison demeure ainsi un secteur en plein développement et tous les regards se posent sur Couche-Tard quant à savoir si le géant s’apprête ou non à se lancer dans le service.

Un reportage récent au réseau TVA laissait entrevoir la possibilité que la bannière implante un service de livraison mais selon diverses sources, la chaîne serait rebutée par la complexité de la chose, d’une part, et sa profitabilité très incertaine, d’autre part.

Cela laisse donc le champ libre aux plus petits de tenter des expériences mais il ne serait pas surprenant que Labatt et autres reviennent avec de nouvelles initiatives.

La livraison se cherche donc toujours un avenir et en attendant, comme dans le temps du Dépanneur Léo, ce sont les plus petits qui semblent le plus en profiter!

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