Grâce à deux jeunes entrepreneurs, les deps ont enfin espoir de revoir leur argent… et d’en faire!

Ils sont jeunes, ambitieux et dynamiques. Et surtout, ils n’ont pas froid aux yeux.

Partenaires dans la vie comme au travail, Tristan Bourgeois Cousineau et Joannie Couture sont aux commandes de Vins Triani, un importateur de vin italien embouteillé localement pour le marché des dépanneurs et épiceries.

Lancée en 2014, cette PME de Saint-Jean-sur-le-Richelieu a réussi en quelques années à faire distribuer sa gamme de vins dans pas moins de 4500 points de vente au Québec.

Mais loin de vouloir en rester là, le duo vient de prendre le pari le plus audacieux de sa courte histoire, soit celui de relancer la gamme de boissons maltées populaires Mojo, Octane, Seagram et Baron qui est bannie des tablettes depuis sept mois, redonnant enfin espoir aux dépanneurs lésés de récupérer tout leur dû et voire même, de renouer avec la profitabilité de ces marques.

Toutefois, avec la RACJ qui souffle dans leur cou d’un côté, la compétition qui a eu le beau jeu de l’autre et les dépanneurs impatients de retrouver leur argent en face, la partie est loin d’être gagnée d’avance et c’est tout un défi qui les attend!

Des sauveurs venus du champ gauche
En novembre dernier, Vins Triani faisait l’objet d’un profil élogieux dans le Journal de Montréal faisant état de la croissance de l’entreprise et ce, juste avant le rachat des actifs de l’embouteilleur en faillite Cidrerie Solar.

Le rappel en décembre dernier des boissons maltées Mojo, Octane, Seagram et Baron distribuées par le duo BlueSpike / Cidrerie Solar a pris au dépourvu des milliers de dépanneurs ayant payé ces produits sans n’avoir pu les vendre.

Certains ont pu les vendre à temps mais dans la plupart des cas, on parle ici de crédits non remboursés de l’ordre de 1500$ à 3500$ par dépanneur.

DepQuébec estime ainsi à trois millions de dollars les sommes dues aux dépanneurs pour ces produits, soit une moyenne de 600$ par dépanneur (en estimant à 5000 le nombre de points de vente).

Pour les petits indépendants, c’est beaucoup d’argent en inventaire non disponible et non utilisé depuis sept mois. L’impatience grandit parmi ces derniers, non seulement du fait de l’injustice subie mais aussi, des nombreuses promesses et propos rassurants faits par BlueSpike, entre autres, qui a répété maintes et maintes fois qu’ils reviendraient en force (voir ici).

Ce n’est finalement pas BlueSpike qui est revenu en sauveur, mais bel et bien un tiers qui n’a rien à voir avec la situation mais qui est rempli de bonnes intentions!

Une approche « gagnant-gagnant » pour relancer la gamme

Vins Triani n’a pas fait pas les choses à moitié. Prenant un risque financier énorme, la firme a saisi l’opportunité de croître en faisant l’acquisition de Cidrerie Solar à Terrebonne, l’embouteilleur du Four Loko et des boissons Octane, Mojo, Seagrams et Baron mis en faillite en décembre dernier suite au rappel de leurs produits par la RACJ pour avoir utilisé un type d’alcool non réglementaire pour la vente de ces boissons en épicerie.

Aperçu des installations de Cidrerie Solar à Terrebonne acquises par Vins Triani.

Ce faisant, la jeune entreprise a également acquis les licences de commercialisation des marques Mojo, Octane, Seagram et Baron pour le Québec et c’est avec la bénédiction de la RACJ qu’elle peut désormais remettre ces produits sur les tablettes… face à une armée de dépanneurs qui ont perdu de l’argent, n’ayant jamais été remboursés pour les produits rappelés et dûment payés depuis plus de six mois.

Or, si elle s’est engagée hier, par voie de communiqué, « à dédommager les petits commerçants qui avaient perdu lors du rappel des produits qui étaient alors commercialisés sous Solar », la co-propriétaire Joannie Couture s’est faite plus nuancée lorsqu’en entrevue avec DepQuébec, elle a précisé les modalités de ce dédommagement qui est essentiellement fondé sur l’établissement d’un partenariat mutuellement gagnant.

Car si elle est bien consciente que les anciens propriétaires traînent une dette envers les dépanneurs, elle ajoute n’avoir aucune idée quant à savoir à combien cette dette s’élève au total et combien est dû à qui.

Toutefois, elle dit assumer pleinement « une dette morale » et souhaite que les dépanneurs comprennent que c’est « en travaillant ensemble » que la relance pourra fonctionner.

« Nous, on comprend les détaillants et on veut les aider le plus possible. Mais vous comprendrez qu’on ne peut pas rembourser les dettes des autres. On va toutefois compenser du mieux qu’on peut. Il n’y aura pas de remboursement comme tel, mais plutôt un dédommagement sur la base d’ententes commerciales faites avec chacun des détaillants, sous forme de compensation. » — Joannie Couture, Vins Triani

Trois types d’ententes offertes

Pour simplifier les choses, la firme entend proposer trois types d’ententes comprenant des assortiments de produits et des engagements de volume à moyen et long terme, sur la base desquels le dédommagement sera établi et qui se fera essentiellement sous forme de rabais, Vins Triani cédant alors sa marge, en tout ou en partie, aux détaillants participants, se trouvant ainsi à vendre les produits à prix coûtant ou presque, jusqu’à ce que le crédit dû soit remboursé.

« On va compenser par les prix sur les produits dans la relance pour que le détaillant puisse y retrouver son compte. Au final, nous, ce qu’on veut, c’est que ce soit gagnant-gagnant. Mais il n’y aura pas de produit gratuit, comme vous savez dans la loi, c’est interdit. Ce n’est pas une gratuité, ce n’est pas un remboursement, c’est une compensation.  » — Joannie Couture

Dans le meilleur des cas, Triani entend compenser le rappel à 25% dès les premières factures, jusqu’à temps que la valeur du rappel soit compensée à 100%. Équivalant approximativement à leur marge de profit, Triani espère que ce 25% démontre aux clients leur volonté de travailler en partenariat tout en permettant de financer la production des produits, le salaire des employés afin d’assurer une continuité de la production et de la commercialisation des marques à long terme.

« Nous, on va volontairement affecter nos marges et notre profitabilité pour aider les détaillants là-dedans parce qu’on sait qu’ils ont vraiment eu un coup dur, on comprend la réalité et en même temps, on ne se le cachera pas, on reprend les mêmes marques, donc c’est tout à fait normal qu’il y ait une certaine continuité même si c’est une entreprise tout à fait différente. Il n’y aura pas de formule magique ni calcul automatique, ce sera vraiment du cas par cas. » — Joannie Couture

Le 25% est appliqué avant taxes, ce qui diminue le montant payé en taxes et donc viendra au final compenser la taxe déjà payée auparavant. Pour ce qui est des paiements effectués pour la consigne, il ne peut y avoir de rabais effectués sur la consigne mais celle payée pour les nouveaux produits sera naturellement récupérée.

« J’aime dire que ce sera du cas par cas. On a une formule et une idée de où on veut aller, mais je suis un peu mal à l’aise à ce qu’on donne cela haut et fort à tous les détaillants parce qu’il y en a que ça va être plus, d’autre que ça va être moins, tout dépend des montants à compenser et des produits qui vont être repris par les détaillants. S’il y a des détaillants qui veulent ne reprendre qu’un seul des produits, on ne pourra pas les compenser dans la même mesure. » — Joannie Couture

La RACJ en profite pour finaliser le rappel

Le feu vert donné à Vins Triani par la RACJ pour la commercialisation des produits vient avec certaines conditions. L’une d’elle, notamment, oblige Vins Triani à faire le travail que l’organisme réglementaire devrait normalement faire mais qu’elle ne peut accomplir, faute de moyens.

En effet, lorsqu’elle a ordonné un rappel des produits en décembre dernier, la RACJ n’avait absolument aucun moyen de s’assurer que ce dernier était bel et bien effectué, ne disposant d’aucun contingent d’inspecteurs digne de ce nom capable de ratisser le terrain rapidement.

De sorte que dans la foulée des permis nouvellement octroyés à Vins Triani, la RACJ demande à ce que l’entreprise prenne des mesures exceptionnelles pour s’assurer auprès des détaillants que tous les produits rappelés sont bel et bien retirés.

Ainsi, chaque client visité par Vins Triani devra énumérer TOUS les produits rappelés qu’il a encore en magasin (ou déclarer et signer qu’il n’en a plus du tout) tandis que Triani s’engage, pour sa part, à faire reprendre et détruire les produits restants.

Sans l’obtention de ce papier signé, Triani ne pourra livrer de nouveaux produits. De plus, la RACJ exigera de Triani la liste de tous les clients visités pour vérification et ceux qui auront refusé de se faire reprendre leur produit ou qui ont omis une certaine quantité risquent leur permis de vente d’alcool. La liste des produits visés par cette mesure est disponible en cliquant ICI.

Les petits avant les gros

Vins Triani se trouve présentement littéralement à la case départ : elle vient tout juste d’avoir le feu vert de la RACJ, elle compte une soixantaine d’employés dont une dizaine de représentants et part donc dans les prochaines semaines à la rencontre des détaillants pour leur offrir chacun son plan de relance.

Or, c’est par les commerces indépendants qu’elle entend commencer en premier, et non les grandes chaînes avec qui, affirme-t-on, on n’a pas encore développé d’entente et de partenariats.

« C’est une volonté que nous avons de revenir auprès des indépendants en premier parce qu’on sait entre vous et moi que les grandes chaînes n’ont pas nécessairement besoin de ça autant que les détaillants qui ont connu des pertes proportionnelles à leur revenu beaucoup plus grandes donc pour nous, on commence par là. » – Joannie Couture

Mais l’absence prolongée de la gamme et l’appétit insatiable des compétiteurs risquent de rendre toutefois la tâche ardue pour le jeune groupe plein de bonnes intentions.

Car s’il est permis de croire que les détaillants voudront récupérer rapidement leur crédit impayé, c’est une autre paire de manche que de reprogrammer l’espace tablette pour ces produits absents depuis si longtemps, certains ayant déjà signé des ententes avec des compétiteurs pour positionner favorablement les produits de la concurrence dans les frigidaires les plus visibles et accessibles.

C’est donc une véritable bataille de tranchée qui attend Vins Triani avec tous les défis que posent la logistique de la production, la distribution, la commercialisation et le dédommagement sans compter sur la pression sans cesse maintenue de la RACJ.

Les dépanneurs sauront-ils les appuyer et ainsi, non seulement retrouver leur capital perdu mais en plus, gagner à moyen et à long terme un fournisseur additionnel de marques populaires leur permettant de maximiser en sus leur pouvoir de négociation?

Objectivement, ils auraient tout intérêt.

 


 

LA CRISE DES BOISSONS ALCOOLISÉES SUCRÉES : DATES CLÉS D’UNE TEMPÊTE PARFAITE 

 

2017

  • durant l’année, de nombreux reportages soulèvent des inquiétudes sur les boissons maltées à 12% d’alcool comme Four Loko
  • 20 novembre: Mise en demeure de la RACJ signifié le à Cidrerie Solar pour manquement à la réglementation dans la fabrication de ses produits
  • 6 décembre: annonce du rappel des produits Mojo, Octane, Seagrams et Baron
  • 19 décembre: embouteillage Solar en faillite (40 M$)

 

2018

  • 26 février, décès accidentel d’Athéna Gervais après avoir ingurgé du FCKD UP subtilisé dans un dépanneur
  • 4 mars – Groupe Geloso annonce la fin de FCKD UP
  • 6 mars : Phusion Projects écrit à la ministre pour dire qu’elle suspend la vente de Four Loko au Québec indéfiniment
  • 9 mars : Geloso demande qu’on interdise le Four Loko
  • 12 mars: la Maison des futailles (Kruger vins et spiritueux) dit qu’elle refuse d’embouteiller Four Loko
  • 13 mars: le ministre Martin Coiteux annonce une nouvelle réglementation : les alcomalts de plus de 7% interdits en dépanneur
  • 4 juin: la loi 170 adoptée
  • 23 juillet : Vins Triani annonce qu’elle relance la gamme bannie

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