La sordide affaire du dépanneur Saint-Jacques

Un dépanneur est un commerce ouvert et rassembleur qui, par définition, rayonne au coeur de sa communauté.

Mais s’il arrive que son propriétaire est un être pervers, délinquant et dépravé, c’est toute la communauté qui peut souffrir de sa présence.

L’histoire du dépanneur Saint-Jacques est venu illustrer jusqu’à quel point celle-ci peut devenir traumatisante et marquer au fer rouge l’histoire de toute une collectivité.

Église de Saint-Jacques-de-Montcalm, à deux pas du dépanneur Saint-Jacques. Crédit photo: Par Geai bleu — Travail personnel, CC BY 3.0
Un village sans histoire

Le petit village de Saint-Jacques-de-Montcalm, dans Lanaudière, est un oasis de paix et de tranquillité.  Fondé en 1770 par un groupe d’exilés acadiens venant de la Nouvelle-Angleterre et accueillis par prêtres de Saint-Sulpice, il compte 4000 habitants. Comme la plupart des villages québécois, il trouve en son coeur une magnifique église, l’église de Saint-Jacques, érigée en 1918.

La communauté a longtemps vécu de la culture du fameux tabac jaune lancée au 19e siècle. Jusqu’en 2004, une soixantaine de tabaculteurs faisaient fortune dans la région. Grâce à sa terre sablonneuse, la région, surnommée le pays du tabac, était célèbre pour sa culture, véritable fierté. Le déclin fut rapide. En 2003, Rothmans a annoncé qu’elle cesserait de s’approvisionner au Québec. JTI Macdonald lui a emboîté le pas l’année suivante tandis qu’Imperial Tobacco réduisait ses commandes du tiers avant de rapidement y mettre fin.

Découragés, presque tous les producteurs ont accepté des subventions de la part des gouvernements pour passer à de nouvelles cultures. Aujourd’hui, la majorité ne cultive plus rien. Certains ont simplement vendu leurs terres et sont partis à la retraite ou se sont réorientés.

Situé à un jet de pierre de l’église, le dépanneur Saint-Jacques occupe la position la plus centrale du village depuis les années 1970. C’est alors que son propriétaire tire sa révérence et vend le commerce à un dénommé Roger Savard.

Un propriétaire gentil mais peu présent

C’est autour de 2008 environ qu’un célibataire dans la cinquantaine, Roger Savard, acquiert le dépanneur ainsi que la bâtisse au complet qui comprend trois logements au deuxième étage. Il habite l’un des logements mais également une propriété de Mascouche de sorte qu’on le voit peu dans la communauté en-dehors de son travail comme propriétaire.

Les gens qui le côtoient n’ont rien à dire car il « semble être fin avec tout le monde » selon des gens de la place.

Puis, stupéfaction. Le 18 juillet 2013, à 57 ans, il est arrêté à son domicile vers 7 h du matin pour avoir commis des gestes à caractère sexuel sur des mineurs. Il se serait livré à des contacts sexuels sur deux adolescents, dans son logement situé au-dessus de son commerce. Selon la Sûreté du Québec, l’accusé aurait attiré ses victimes dans son logement. Lors d’une perquisition, les enquêteurs ont retrouvé de la pornographie juvénile dans son ordinateur. Du matériel informatique a aussi été saisi pour analyse.

Savard a comparu le lendemain au palais de justice de Joliette sous trois chefs d’accusation soit contact sexuel, possession et production de pornographie juvénile. Une des présumées victimes serait âgée de 14 ans, selon l’acte d’accusation.

Une communauté sous le choc

Selon le Journal de Joliette qui couvre l’affaire, la communauté est sous le choc.

« Étonnant, frustrant et aberrant. Ces termes décrivent bien l’état d’âme des citoyens de Saint-Jacques de Montcalm rencontrés par le Journal, qui ont appris que le propriétaire du Dépanneur Saint-Jacques, Roger Savard, est accusé de contacts sexuels et de production et possession de pornographie juvénile ».

La propriétaire du salon de coiffure Destination Beauté, Kariane Piché, qui a son entreprise tout juste en face du dépanneur, admet que ce n’est pas plaisant d’apprendre ce type de nouvelle, d’autant plus qu’elle côtoyait le suspect tous les jours.

« Je ne vais pas retourner à son commerce. J’ai un blocage », avoue-t-elle.

Pour sa part, une ex-employée et amie de M. Savard considère que ce récit a été monté de toutes pièces par des jeunes sans crédibilité. En ce qui la concerne, elle ne croit pas du tout que cette histoire est véridique. Elle s’est même dite prête à aller témoigner en faveur de M. Savard au besoin. Selon elle, plusieurs personnes de Saint-Jacques associent le mot gai à pédophile. « Plusieurs homosexuels se font traiter de pédophile », fait-elle valoir.

Toujours est-il qu’en dépit des accusations graves dont il est l’objet, Roger Savard a pu recouvrer sa liberté moyennant plusieurs conditions. Il lui sera notamment interdit de communiquer avec les présumées victimes et ne pourra posséder ni utiliser un ordinateur ainsi qu’avoir accès à internet.

Mais durant tout le temps que dureront les procédures à venir, rien ne l’empêche d’exploiter son commerce… au grand désespoir de tout un village qui se voit condamné tout à coup à endurer la présence d’un dépanneur présumé pédophile.

Certains citoyens, n’acceptant pas les gestes présumés de M. Savard, auraient réagi sur le champ en mettant le feu à une poubelle près de son commerce tandis que d’autres ont fait des graffitis sur sa bâtisse. Sa photo est également affichée sur différents poteaux dans la ville.

Mais faisant fi de cette réprobation générale, Savard persiste à exploiter son commerce, quitte à devenir une source vivante d’embarras, de gêne et de frustration pour tout le village.

Plaidoyer de culpabilité

Si certains entretenaient encore des doutes quant à sa culpabilité, ceux-ci s’évaporent rapidement tandis que progressent les procédures.

En effet, de retour en cour en septembre 2013, cinq chefs d’accusation additionnels s’ajoutaient à son dossier. Déjà accusé de possession et production de pornographie juvénile ainsi que d’attouchements sexuels, le propriétaire est accusé en outre de contact sexuel, incitation à des contacts sexuels, possession de pornographie juvénile, et possession simple de cocaïne et d’amphétamines.

C’est à Mascouche que l’accusé aurait été en possession de pornographie juvénile, le ou vers le 3 juin dernier. Pour ce qui des accusations à caractère sexuel, les évènements auraient eu lieu à Saint-Jacques, entre le 1er janvier et le 6 juillet 2013. La victime serait âgée de 13 ans.

Et ce n’est finalement que trois ans plus tard, au fil des remises et retards de procédures, que le propriétaire plaidera enfin coupable à huit chefs d’accusation, soit trois chefs d’agression sexuelle, un de possession de pornographie juvénile, un d’accession à de la pornographie juvénile et d’avoir produit, imprimé ou publié de la pornographie juvénile. Au moment des infractions, Savard était propriétaire du dépanneur Saint-Jacques. Les victimes étaient des adolescents dans son logement situé au-dessus de son commerce. Selon la Sûreté du Québec, l’accusé aurait attiré ses victimes dans son logement.

Il doit revenir en cour pour connaître sa sentence en décembre mais toujours en liberté sous de sévères conditions, il peut néanmoins continuer encore d’exploiter son dépanneur!

Imaginez l’épreuve pour une petite communauté qui se voit forcée de tolérer la présence d’un pédophile et prédateur sexuel avéré en plus d’un consommateur de drogues dures et ce, tout en demeurant impuissante légalement à l’expulser.

Un incendie trop commode?

Trois mois après son plaidoyer de culpabilité, le 21 décembre 2016, le commerce de M. Savard prend feu et sera complètement détruit dans la foulée d’un incendie. Personne n’a été blessé, les occupants des logements ayant pu être évacués à temps.

La direction du service d’incendie de Saint-Jacques a confié l’enquête à la Sûreté du Québec, car on considère que cet incendie est suspect (source : Montcalm Express).  Les pompiers avaient été appelés deux fois dans les semaines précédentes pour des débuts d’incendie qui avaient rapidement été éteints.

Selon le Journal de Montréal, personne n’était surpris que le dépanneur ait été rasé par cet incendie suspect.

« On ne comprenait pas pourquoi il continuait à travailler dans son commerce. Il fallait dire à nos enfants de ne pas y aller. À l’Halloween, on était choqués. Il a donné des bonbons aux enfants et il se prenait en photo avec eux», a rapporté une mère de famille qui a requis l’anonymat.

Pour certains, cela ne peut être l’oeuvre que du principal intéressé lui-même.

«Ça ne sent pas bon, ça, c’est sûr. Si ce n’est pas quelqu’un qui s’est vengé, alors c’est lui qui a mis le feu à son commerce. Il essayait de le vendre et il n’y arrivait pas», a-t-il dit.

Au Resto-Pub Saint-Jacques, les clients pensaient la même chose.

«C’est pas mal ça qu’on entend ce matin. Les gens pensent qu’il aurait pu faire ça pour toucher les assurances», a dit l’un d’entre eux.

Lorraine Desrochers avait des larmes qui roulaient sur ses joues devant les ruines encore fumantes.

«C’est mon terrain de jeu qui est parti en fumée. Cette bâtisse a appartenu à ma famille de 1950 au début des années 2000. On était 12 enfants et on a grandi là, dans cette épicerie.»

L’enquête a été confiée à la Sûreté du Québec, qui considère l’incendie comme suspect mais n’avait toujours pas confirmé, après les faits, s’il s’agissait d’un incendie criminel.

Chose certaine : quelle que soit l’origine de l’incendie, Roger Savard a d’ores et déjà ravi le titre de pire dépanneur de toute l’histoire du Québec.

Le 13 juillet 2017, ce dernier a été condamné à une peine de 18 mois de détention ferme suivie de trois ans de probation, peine qu’il purge à l’heure actuelle.  Personne n’a été accusé ou poursuivi encore relativement à l’incendie de son commerce.

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