Les Libéraux promettent d’abolir les frais d’interchange calculés sur les taxes fédérales

Personne ne l’a vu venir celle-là et c’est de loin, pour les dépanneurs, la plus belle surprise de la campagne fédérale jusqu’à présent.

De passage à Trois-Rivières le 13 septembre dernier, le premier ministre sortant Justin Trudeau a annoncé un train de promesses électorales pour aider les PME.

Parmi celles-ci, et passées quasiment inaperçues, on retrouve l’interdiction d’imposer des frais de carte de crédit aux détaillants sur les taxes fédérales (TPS et TVH).

Une mesure intelligente et pleine de bon sens, réclamée par plusieurs associations de détaillants depuis longtemps mais jamais sérieusement considérée jusqu’à maintenant.

Et tout d’un coup, tadam! Si Justin Trudeau est réélu, ce sera fait. Mais attention: il n’y a jamais rien de simple en ce bas monde.

Voyons ce que cette décision implique et quels sont les impacts attendus pour les détaillants québécois.

Des réductions significatives sur les produits taxés

Actuellement, lorsqu’un client paie par carte de crédit, les frais d’interchange sont calculés à partir du montant total brut de la transaction, incluant les taxes.

Au Québec, il convient d’ajouter 14,975$ en taxes sur une transaction taxable de 100$, soit 5$ de TPS et 9,975$ de TVQ, pour un total de 114,98$ (en fait 115$ depuis qu’on arrondit aux cinq sous).

En assumant qu’un détaillant paie 1,5% de frais d’interchange en moyenne par transaction, cela lui coûte présentement 1,73$ pour la transaction avec taxes.

La même transaction sans les taxes lui coûterait donc 1,50$ en frais, une économie appréciable de 23 cents.

Ainsi donc, on voit qu’en retranchant 15% de la somme brute sur laquelle les frais d’interchange sont appliqués, le détaillant économise 13% en frais!

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Appliquée sur l’ensemble des taxes au Québec, la mesure libérale pourrait réduire les frais d’interchange de 23 cents pour chaque transaction de 100$, un gain de 13% qui va directement dans les poches des détaillants.

C’est énorme. Une mesure alléchante et beaucoup plus payante, en fait, que la dernière entente volontaire annoncée par Ottawa pour la période 2020 à 2025 et qui fera baisser le taux moyen d’interchange — nous dit-on — de 1,5% à 1,4%.

Mais là encore, la mesure de Justin Trudeau ne s’appliquerait que sur les taxes fédérales ou appliquées par le fédéral, comme les taxes harmonisées dans les autres provinces. Pas sur les taxes provinciales!

Le Québec désavantagé

Parmi les 10 provinces canadiennes, cinq vont profiter pleinement de cette mesure dès son application parce qu’elles ont la taxe harmonisée.

À ce groupe, il faut ajouter l’Alberta puisque la province n’a aucune taxe provinciale.

Il demeure donc quatre provinces qui vont devoir se battre pour convaincre leur gouvernement local d’appliquer aussi cette mesure et parmi celles-ci, c’est le Québec qui a le plus à gagner.

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Les détaillants des provinces maritimes et de l’Ontario vont voir une réduction immédiate de 13% à 15% de leurs frais d’interchange. Les détaillants québécois, pour leur part, n’auront droit qu’à 5% de réduction.  Mais si le Québec emboîte le pas à cette mesure et règlemente en ce sens, cela devrait générer une réduction additionnelle énorme de près de 10%.

Contactée par DepQuébec, la porte-parole du ministre des Finances du Québec, Mme Fanny Beaudry-Campeau, a indiqué ne pas être au courant de cette mesure. Toutefois, elle a confirmé que le ministre Éric Girard ne commentera pas une telle promesse en conformité avec la ligne adoptée par le premier ministre François Legault en ce qui a trait à l’élection fédérale en cours.

En supposant que Québec veuille imiter Ottawa, il reste à voir comment la province pourrait réglementer une telle mesure. Et là, ce pourrait être très long, voire des mois ou des années, avant qu’un tel règlement soit adopté. Personne n’est en mesure de le dire au moment d’écrire ces lignes.

Il faudra voir aussi dans quelle mesure les processeurs de paiement de carte de crédit pourront déduire les taxes automatiquement des montants bruts de transaction, chose pour laquelle ils ne sont pas programmés actuellement et qui pourraient s’avérer beaucoup plus complexe qu’on ne l’imagine.

Une mesure aussi étonnante qu’inattendue

Mais ce qui étonne beaucoup dans cette mesure est le fait qu’elle survient après que le gouvernement fédéral ait négocié, de peine et de misère, une deuxième entente volontaire de cinq ans avec les sociétés de carte de crédit pour les cinq prochaines années, soit de 2020 à 2025.

L’idée d’une telle entente, si on se souvient, est que les sociétés de carte de crédit ont volontairement accepté de réduire leur taux moyen (et leur fourchette de taux) en échange d’une forme de paix réglementaire et d’une prévisibilité du système.

Or, la seconde période de cinq ans n’est même pas entamée que déjà, le fédéral envisage de réduire la fourchette à partir de laquelle les taux sont calculés et ce, de manière unilatérale.

En entrevue avec DepQuébec, la députée libérale Linda Lapointe (qu’on aperçoit en photo plus haut avec le premier ministre fédéral) ne s’est pas montrée inquiète outre mesure de la réaction des sociétés de carte de crédit face à cette mesure.

linda lapointe« D’après moi, ça va être correct. Je pense que c’est assez injuste pour les entreprises de devoir payer des frais d’interchange sur des taxes qu’ils sont tenus de percevoir et de rembourser. » — Linda Lapointe, députée libérale

En ce qui a trait à la possibilité de voir Québec s’engager dans la même voie, la députée se dit optimiste.

« Ce sont des pourparlers qu’il va falloir engager, mais je suis confiante. Je suis certaine qu’ils vont se rendre compte que c’est une mesure pour aider les PME et qui peut s’implanter facilement », a-t-elle souligné.

Par ailleurs, à moins que les sociétés de carte de crédit n’acceptent volontairement de s’y plier, ce qui serait surprenant, ce serait la première fois que le fédéral utilise le levier règlementaire pour limiter les taux d’interchange, intervention qu’il s’est toujours refusé de faire jusqu’à présent. Est-ce donc le prélude à un plafonnement réglementaire des taux?

« Il va falloir regarder ce qui va se passer entre 2020 et 2025 et selon moi, c’est en fonction des résultats qu’on va devoir regarder s’il faut oui ou non réaligner les taux », de conclure la députée.

Les promesses comptent

Quiconque a fait de la politique le moindrement sait que les promesses électorales, tout comme les plateformes des partis, sont extrêmement importantes une fois que le parti prend le pouvoir.

La plateforme devient la boussole du gouvernement en quelque sorte. Sa direction pour mesurer le chemin parcouru et les promesses tenues. On le voit très bien avec le gouvernement Legault par exemple.

Les promesses électorales sont fort porteuses et bien souvent, c’est par elles que le vrai changement se manifeste le plus.

Nous avons tenté par ailleurs d’avoir une réaction auprès du Parti conservateur, sans succès.

Jusqu’à présent, seul le Conseil canadien de l’industrie des dépanneurs (CCID) a réagi à cette promesse.

« L’annonce faite aujourd’hui représente une victoire importante pour les petites entreprises au Canada et c’est une mesure que l’industrie des dépanneurs préconise depuis longtemps. » — Anne Kothawala, PDG du CCID

Il s’agit à n’en pas douter d’un développement extrêmement positif pour les dépanneurs, porteur de grand espoir et qui survient alors qu’on ne s’attendait à rien du tout sur ce front.

Comme quoi l’avenir nous réserve bien des surprises qui sont parfois bonnes et parfois même, très bonnes!

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