L’incroyable précédent de Mme Liu

Voici un cas d’espèce et de courage qui devrait être une source d’inspiration et de fierté pour tous les propriétaires de dépanneurs au Québec.

Mme Yu Jie Liu est propriétaire du Dépanneur Soleil situé au 130 rue Castonguay à Saint-Jérôme, un tout petit dépanneur qui n’a aucune prétention. Son voisin direct est un stand de patate, pour tout vous dire.

Or, en août 2007, les inspecteurs du Ministère de la Santé et des Services sociaux débarquent dans son magasin. Une mineure y achète du tabac et Mme Yu se voit trainée devant les tribunaux.

Elle se présente toute seule, pour se défendre. Et elle sait à peine parler le français!

Voici un résumé du jugement :

  • Le 15 août 2007, Mme Andrée Duquette, inspectrice, gare son véhicule à proximité du dépanneur Soleil à 13h09. Elle est accompagnée d’une aide- inspectrice, Mlle Estelle Casaubon, afin d’y tenter un achat.  Avant l’entrée à l’intérieur du dépanneur, Mme Duquette prend deux photos de Mlle Casaubon.  Celles-ci démontrent que l’aide-inspectrice a l’apparence d’une personne mineure.  Mme Duquette remet à Mlle Casaubon la somme de dix dollars et lui donne la consigne de faire l’achat d’un cigarillo de marque Prime Time.  Elle vérifie que Mlle Casaubon n’a rien dans les poches.  Elle s’assure également qu’elle est âgée de moins de 18 ans à l’aide d’une carte d’assurance-maladie.  Elle est  alors âgée de 16 ans.
  • Mme Duquette entre la première à l’intérieur du dépanneur et feint d’être une cliente.
  • Mlle Casaubon entre par la suite et fait l’achat d’un cigarillo de marque Prime Time à la saveur de vanille.  Elle entre à 13h13 à l’intérieur du dépanneur et en ressort à 13h13 également.  Aucune pièce d’identité n’est requise par la commis.
  • Suite à l’achat, l’aide-inspectrice quitte le dépanneur.
  • Mme Duquette demeure à l’intérieur. Elle fait un achat de gomme à mâcher puis quitte.

Mme Liu témoigne en défense. Une interprète officielle mandarin-français l’assiste à la cour.

  • Elle indique qu’à l’heure du midi, il y a beaucoup d’achalandage.  Les événements sont survenus un peu après cette heure de grande fréquentation.  Elle remarque d’abord Mme Duquette qui se dirige vers l’étalage des magazines.  Elle dépose une photo qui démontre un présentoir de magazines situé à droite du comptoir de la commis.  Mme Duquette y flâne un certain moment et échange des regards avec elle en touchant des magazines.  Par ces agissements louches, Mme Liu conclut que cette personne n’a pas l’intention d’acheter un magazine.
  • Cinq minutes plus tard, arrive une deuxième dame d’âge moyen qui fait l’achat de lait.
  • Par la suite, une jeune personne entre et s’approche de son comptoir. Mme Duquette s’approche également et se colle le corps contre le comptoir.  Mme Liu s’inquiète du fait que Mme Duquette est dans une position propice pour voler des barres de chocolat qui se trouvent dans ce comptoir.  Mme Liu dépose une photo démontrant ce comptoir et les différents petits items qu’il contient.
  • Mme Liu porte toute son attention sur Mme Duquette qui a des comportements inhabituels. Elle dit que les clients n’ont pas l’habitude de s’accoter sur ce comptoir.
  • Mme Liu a la ferme intention de ne pas se laisser voler quoi que ce soit dans son dépanneur.
  • La jeune personne demande un cigarillo de marque Prime Time à la saveur de vanille.
  • Mme Liu confond cette jeune personne avec une autre, à qui elle aurait précédemment demandé de s’identifier avec des cartes et qui se serait exécutée positivement. Cette personne a l’habitude d’acheter la même marque et la même saveur.  Elle avoue n’avoir pas porté toute l’attention nécessaire à cette jeune personne, mais elle explique que c’est en raison des agissements de Mme Duquette.

Le jugement (extraits) :

  • La preuve de la poursuite ne révèle aucune forme d’avertissement antérieur ou autre motif justifiant l’intérêt d’enquêter ce dépanneur.
  • Dans les circonstances, il ne s’agit pas d’une enquête bona fide mais plutôt d’un test au hasard, ce qui constitue un abus de procédure.
  • Deuxièmement, la conduite de l’inspectrice principale a outrepassé la simple offre de commettre une infraction. Son comportement louche à l’intérieur du dépanneur est inadéquat et hors de la norme acceptable.  Cette preuve n’a pas été contredite par la poursuite lors de la contre-preuve.
  • Le Tribunal considère qu’une personne raisonnable, agissant comme commis au comptoir des ventes, le 15 août 2007, en présence d’une cliente qui agit telle une personne qui s’apprête à voler, aurait eu toute son attention portée sur elle et aurait été moins vigilante pour appliquer d’autres règles de conduite tout aussi importantes. L’inspectrice principale, par son comportement, a contribué et facilité la commission de l’infraction en agissant comme une personne qui détourne l’attention.  Ce scénario est couramment observé dans les boutiques de vêtements où une cliente occupe la vendeuse pendant qu’une deuxième personne dissimule des vêtements dans son sac.
  • En conséquence, le Tribunal accueille la défense de provocation policière et ordonne l’arrêt des procédures

Sous la présidence de Mme Nathalie Duperron, juge de paix magistrat, 1er mars 2010 (voir jugement complet ici).

C’est la première à notre connaissance qu’un tribunal au Québec a décrété ce type d’inspection comme étant de la provocation policière. Bravo Mme Liu!

Prologue : Le Dépanneur Soleil a été démoli en juillet 2010, soit quelques mois seulement après ce jugement. Le nouveau propriétaire du bâtiment a évincé Mme Liu pour des motifs de non-conformité et utilisé l’espace acquis pour construire un ensemble d’immeubles à bureaux. Mme Liu a poursuivi ce dernier pour environ 700 000 $ et le 10 février dernier, a perdu sa cause devant le tribunal.

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