Loteries en ligne: au rythme actuel, elles pourraient dépasser les ventes en magasin dans 10 ans

Comme à chaque année, DepQuébec scrute à la loupe les rapports annuels de Loto-Québec, question de bien comprendre où s’en vont les ventes en ligne versus celles en magasin.

Et pourquoi est-ce pertinent? Parce que les ventes en ligne (voir ici et ici), étaient mais ne sont plus sujettes à commission pour les détaillants (ni non plus les gros lots gagnés par des billets vendus en ligne), un fait que seul DepQuébec a rapporté publiquement à ce jour.

Ainsi, advenant que dans un futur rapproché, les ventes en ligne explosent et du coup, cannibalisent les ventes en magasin, les détaillants en prendraient pour leur rhume et verraient leurs revenus fondre comme un iceberg en Jamaïque.

Donc, il faut y voir mais, bien entendu, Loto-Québec ne fait rien pour nous faciliter la vie, nous forçant à lire entre les lignes et adopter divers stratagèmes pour comprendre où s’en va cette galère.

Or, après un examen minutieux, nous sommes en mesure de rapporter de bonnes et de moins bonnes nouvelles.

Les bonnes concernent le court terme: les choses semblent s’être améliorées pour les détaillants depuis quelques années. Mais c’est à long terme que le bât blesse.

Car cette année, sans surprise, tous les clignotants indiquent à l’unisson une surchauffe accélérée des ventes en ligne!

Allons-y voir.

Des revenus équivalents à ceux de 1996!

Pour bien comprendre l’état des lieux, commençons par examiner l’ensemble des commissions versées aux détaillants pour la vente de loterie en se fiant aux rapports annuels de Loto-Québec.

commissions détaillants loto-québec
Comme on peut le constater depuis 20 ans, les revenus annuels des détaillants ont plutôt faiblement augmenté mais une fois l’inflation prise en compte, ils ont dans les faits diminué d’environ 12%. On remarque également que de 2008 à 2015, les revenus ont fondu de manière drastique de 20% pour enfin commencer à se redresser depuis quatre ans. De sorte qu’en réalité, les revenus annuels de loterie pour l’ensemble des détaillants québécois étaient similaires l’an dernier à ceux gagnés en…. 1996!

Les chiffres ici sont très clairs: depuis 20 ans, Loto-Québec s’est avérée incapable de hausser les revenus des détaillants au même rythme que l’inflation. Bien qu’en hausse de 21% en valeur nominale, ces revenus sont en baisse de 12% si on les calcule en dollars constants de 1999.

Autrement dit, si les détaillants encaissent plus d’argent en apparence qu’il y a 20 ans (147M$ au lieu de 121M$), cet argent vaut moins cher de sorte que les détaillants se retrouvent avec 12% de moins en pouvoir d’achat… tout cela alors que le salaire minimum est passé de 6,90$ en 1999 à 12,50$ de l’heure cette année, soit près du double!

Cette situation déplorable, qui est liée à la stagnation des ventes de loteries, a atteint un creux abyssal en 2014-2015, alors que les revenus en dollars constants ont atteint un creux de -28% par rapport à 1999.

commissions détaillants Loto-Québec dollars constants 1999
Sur ce graphique, on voit très clairement qu’en dollars de 1999, les commissions des détaillants sont en baisse depuis 20 ans, un écart de -12% au dernier exercice suite notamment à une forte léthargie des ventes qui s’est produite entre 2008 et 2015.
Remontée spectaculaire

Depuis quatre ans en revanche, on assiste à une remontée aussi spectaculaire qu’inattendue.

En effet, les quatre derniers exercices ont vu l’augmentation réelle des revenus des détaillants se chiffrer à 5,28% en moyenne, après inflation. C’est énorme!

Deux phénomènes expliquent ce retournement de situation: une inflation faible d’une part, mais surtout, la popularité de Lotto Max.

Cette loterie interprovinciale a littéralement pris son envol au Québec, avec des lots de plus en plus gros mais aussi, des gains disproportionnés au Québec qui sont dûs au seul fait du hasard.

Cette situation engendre deux effets positifs pour les revenus des détaillants: des ventes en hausse mais aussi, des commissions alléchantes sur ces gros lots gigantesques de 55 et 60M$!

Depuis quelques années, les gains majeurs ont atteint 200 M$, voire presque 300 M$ par année. Cela signifie, naturellement, 2 et 3 M$ qui s’ajoutent aux revenus d’un très petit nombre de détaillants chanceux.

Il convient donc de donner à César ce qui est à César et reconnaître ici qu’avec Lotto Max, Loto-Québec à réussi à sortir ses revenus de loteries de la torpeur dans laquelle ils croupissaient depuis le tournant du millénaire.

Un bon point pour eux.

Pour ce qui est du long terme, c’est autre chose…

Il reste à voir si cette situation heureuse se maintiendra mais du coup, elle vient certes en rassurer plusieurs.

Car on parle ici de maintenir à bout de bras le modèle de vente traditionnel.

Pour ce qui est de l’achat de loterie en ligne — le modèle d’avenir si on veut —  tout est à l’avantage de Loto-Québec, c’est-à-dire des coûts d’opération beaucoup plus bas qui nécessitent beaucoup moins de main d’oeuvre et surtout, zéro commission sur les ventes aux détaillants suite à leur retrait unilatéral par Loto-Québéec en 2016 en échange de l’imposition d’un produit très peu payant et peu avantageux pour les détaillants appelé l’Argent Web (voir article sur le sujet ici).

Pour illustrer à quel point les ventes en ligne sont sur une autre planète, nous avons qualifié « d’énormes » un peu plus haut les hausses de revenus des commissions de loterie qui sont de l’ordre de 5% par année.

Or, voici à titre de comparaison les hausses de ventes en ligne telles que fournies par Loto-Québec dans son rapport annuel 2018-2019:

Hausse des revenus du site lotoquebec.com: 23,2%;

Hausse des revenus de loteries en ligne: 34,6%;

Hausse des produits des jeux de casino en ligne: 19,4%!

Comme aiment à dire les économistes, ce n’est que de la croissance à deux chiffres!

Nouvelles méthodes comptables et estimé

Le rapport annuel ne dévoile malheureusement plus les ventes de loteries en ligne, ni même les ventes de loteries tout court car depuis l’année dernière, les règles comptables ont changé et on ne voit plus que « les gains », soit la différence entre les ventes brutes de loterie et les coûts de ces ventes en terme de prix remis aux clients chanceux.

Pour vous donner une idée du changement drastique que cela représente, les « produits » déclarés pour 2019 sont de 2,8 milliards $ tandis que ceux déclarés l’an dernier étaient de 3,8 milliards $, et tout cela malgré que les ventes ont sans doute augmenté.

nouvelle méthode comptable loto-québec
L’ancienne méthode comptable présentait les ventes tandis que la nouvelle, les « gains bruts » sur ces ventes. Cela donne un tout autre portrait de la vitalité des loteries, moins transparent quant à nous, car une baisse des ventes pourrait être dissimulée ainsi derrière une plus grande profitabilité due à des prix non réclamés ou autre.

Cela dit, et malgré les obstacles rencontrés, nous vous présentons au tableau suivant un estimé réaliste des ventes en ligne au dernier exercice selon DepQuébec:

Loterie
Casino
Total
% des loteries /
ventes en ligne
Hausse annuelle
2012-2013
7,1
23,4
30,5
23 %
2013-2014
16,0
25,9
41,9
38 %
125 %
2014-2015
19,0
29,9
48,9
39 %
19 %
2015-2016
30,6
35,6
66,2
46 %
61 %
2016-2017
40,2
45,7
85,9
47 %
31 %
2017-2018
53,7
64,3
118
46 %
34 %
2018-2019
68,6
76,8
145,4
47 %
28 %
TOTAL
235,2
301,6
536,8
44%
MOY.: 33% / AN
DE 2014-18

Notre estimation repose sur deux données partielles dévoilées par Loto-Québec : le fait que les ventes de lotoquebec.com se soit haussées de 23% et les ventes de casino en ligne, dont les chiffres ne sont pas impactés par les nouvelles méthodes comptables.

Or, faites le calcul: si vous augmentez des ventes de 145 M$ de l’ordre de 23% chaque année, vous atteindrez un volume de 1,8 milliard $ en 13 ans… soit exactement le niveau actuel des ventes de loteries toutes catégories confondues.

Et c’est bien évident que dans leur trajectoire vers le sommet, les ventes en ligne vont croiser à un moment donné les ventes en magasin qui connaîtront alors une trajectoire inverse, soit vers le bas.

Ce moment où les deux lignes se croiseront risque fort de se produire au cours des 10 prochaines années.

Ce sera alors un moment charnière et possiblement le début de la fin pour ce qui est du modèle traditionnel de vente de loterie au Québec.

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