Payer comptant pour jouer au poker en ligne: le succès honteux de l’Argent Web par Loto-Québec
On s’en doutait depuis longtemps et c’est maintenant confirmé : l’Argent Web de Loto-Québec connaît une popularité fulgurante depuis son lancement en 2016.
Depuis plus de deux ans et suite à un reportage sur le sujet (voir article ici), DepQuébec tente par tous les moyens d’obtenir les chiffres de vente de l’Argent Web, des données jamais divulguées dans les rapports annuels de la société d’État et toujours déclinées sur demande. Puis, à force de recours intentés via la loi d’accès à l’information, le chat est finalement sorti du sac.
Ainsi, on a appris que Loto-Québec a vendu pour plus de 50 millions de dollars d’Argent Web en 2020, une hausse moyenne effrénée et soutenue de 54% des ventes par année depuis 2017 (voir tableau plus bas). Et cette année, on estime qu’elles frôleront les 70 M$.
De fait, au rythme où vont les choses et si la tendance se maintenait, les ventes d’Argent Web dépasseront le cap du milliard de dollars en 2028, de l’argent liquide à profusion dont la provenance peut être, rappelons-le, plus que douteuse.
Or, ce succès gardé jalousement secret par Loto-Québec vient grandement faciliter l’accès du poker en ligne aux plus démunis et vulnérables. De plus, il contribue à cannibaliser les ventes de loterie en magasin et ce, sans offrir de marge bénéficiaire équitable aux détaillants.
Pas étonnant dès lors que la société d’État a tout fait en son pouvoir depuis deux ans pour empêcher DepQuébec de mettre la main sur de tels chiffres aussi gênants!
Un produit de pure cupidité
L’Argent Web (voir ici le prospectus remis aux détaillants lors de son lancement en 2016) est une façon complémentaire d’injecter de l’argent dans son compte espacejeux.com à partir duquel on peut jouer en ligne aux jeux de casino (poker, black jack et autres) ou encore, acheter de la loterie.
Lorsqu’on ouvre un compte Espacejeux, on peut ou non y associer une carte de crédit. Le cas échéant, tout retrait d’argent peut encourir d’importants frais si l’émetteur considère qu’il s’agit d’avances de fonds. C’est le cas pour certaines banques mais pas toutes.
Dans une telle situation, l’Argent Web permet de contourner ces frais en utilisant sa carte chez un dépanneur et non en ligne. On peut ainsi utiliser sa marge de crédit sans frais pour jouer en ligne dans la mesure où le compte est remboursé en totalité à la fin du mois.
L’Argent Web peut aussi s’avérer utile de d’autres manières, mais rarement pour de bonnes raisons.
Par exemple, le fait de pouvoir payer comptant sera très commode pour des personnes dont la cote de crédit est trop faible pour avoir une carte ou encore, qui sortent d’une faillite. Mais si c’est le cas, est-ce leur rendre service que de faciliter l’achat de tels produits?
On peut aussi penser qu’une personne voulant dissimuler au fisc la provenance de fonds obtenus au noir ou autrement préfèrera de loin payer comptant au dépanneur pour du jeu en ligne que via sa carte interac ou par carte de crédit.
Enfin, des personnes qui reçoivent de l’aide sociale ou autre parce qu’elles sont officiellement “pauvres” aux yeux du gouvernement ne tiendront pas à montrer qu’elles dépensent de l’argent pour du poker en ligne. Celles-ci verront possiblement dans l’Argent Web un moyen utile et commode de renforcer la discrétion entourant leur vice.
Rappelons par ailleurs que tout gain obtenu en ligne sera blanchi puisque sa provenance pourra être démontrée… autant d’avantages, en somme, rendus possibles grâce à la complicité tacite de Loto-Québec.
Plafond haussé de 500% depuis 2016
De telles préoccupations sociales, fiscales ou éthiques n’ont visiblement aucune emprise chez Loto-Québec qui n’a de yeux que pour ses entrées d’argent, son image, ses bonus et son sacro-saint dividende au gouvernement.
Ainsi, l’Argent Web n’est pas tant une faveur que Loto-Québec rend aux dépanneurs qu’un immense service qu’elle se rend à elle-même : cet outil lui permet en réalité d’enlever l’épine des frais de carte de crédit qui empêchaient jusqu’alors les consommateurs de se lâcher vraiment lousse en ligne. Loto-Québec peut désormais pleinement réaliser l’effet de levier que représente l’endettement par carte de crédit pour bonifier ses ventes de loterie et jeux en ligne et la croissance soutenue de ses ventes en ligne en général.
Cela explique sans doute pourquoi, depuis 2016 et en catimini, le monopole a haussé de 500% la limite permise d’achat hebdomadaire de ce produit, passant de 100$ à 500$ par semaine.
Car la misère est une talle payante quand on sait l’exploiter et quand on sait, surtout, profiter des détaillants pour atteindre les objectifs visés, le temps de transférer la part du lion du marché en ligne.
Une pelle pour creuser sa tombe
Cette affaire d’Argent Web illustre par ailleurs le profond cynisme de Loto-Québec vis-à-vis ses fidèles détaillants depuis 50 ans.
Alors que les ventes de loteries migrent de plus en plus en ligne — une situation des plus avantageuses pour le monopole — elle fait preuve d’une avarice dont Séraphin Poudrier lui-même serait béat d’admiration.
Ainsi, Loto-Québec a statué que l’Argent Web serait commissionné à 3,5%, ce qui représente “une bonne affaire étant donné que les commissions en ligne étaient avant à 3%”, pour reprendre son argumentaire fallacieux utilisé dans sa présentation powerpoint interne dont DepQuébec a obtenu copie.
Or, dans d’autres états comme au Kentucky ou en Colombie-Britannique, le iLottery (équivalent de l’Argent Web) et le Web Cash sont commissionné à 5 %, pas 3,5%!
De plus, il faut rappeler que les détaillants perdent toute quote-part sur des gros lots achetés en ligne.
Ainsi, un détaillant qui vend de l’Argent Web ayant servi à l’achat d’un Lotto Max gagnant en ligne ne touchera absolument rien du 1% auquel il aurait normalement droit.
De sorte que peu importe l’angle sous lequel on le regarde, l’Argent Web ne profite qu’à une seule et même entité : Loto-Québec et personne d’autre.
Ce qui démontre bien la philosophie d’affaires de ce monopole d’État face auquel les détaillants n’ont aucune prise à part la soumission complète.
C’est ça ou ne pas vendre de loterie du tout, point à la ligne.