Pour la 1ère fois en cinq ans, les revenus de la taxe tabac sont inférieurs au milliard de dollars

On ne peut plus dire, à compter de maintenant, que le tabac rapporte annuellement plus d’un milliard de dollars à l’État québécois, comme on se plaisait généralement à le répéter.

Les choses ont changé. En 2018-2019, les recettes de la taxe sur le tabac au Québec se sont en effet établies officiellement en dessous de cette barre psychologique.

Selon les Comptes publics 2018-2019 dévoilés il y a quelques jours par le ministère des Finances et qui renferment les données comptables vérifiées, les revenus réels de taxe sur le tabac au Québec ont diminué de 1,9% l’an dernier (de avril 2018 à mars 2019) par rapport à l’année précédente pour se situer à 995 millions de dollars.

Or, c’est la première fois depuis 2014 que les recettes de taxe sur le tabac diminuent en bas du milliard de dollars, soit depuis l’année où le gouvernement fraîchement élu de Philippe Couillard a haussé les taxes sur le tabac pour la dernière fois au Québec.

Depuis le sommet de 2016 où les recettes ont atteint 1,083 milliard, celles-ci n’ont cessé de diminuer et ce, sans hausse notable ou marquée de la contrebande. On peut donc raisonnablement (mais toujours prudemment) attribuer ces baisses à une diminution graduelle de la demande pour le tabac. Du moins peut-on le supposer.

déclin ventes tabac québec 2019
Les revenus annuels de la TPT (taxe provinciale sur le tabac du Québec) ont baissé de 19M$ pour atteindre 995M$ en 2018-2019, une diminution des rentrées fiscales de 1,9% par rapport à l’année précédente. Depuis le sommet de 1,08 milliard$ en 2016, les ventes ont donc baissé de 8,1% (la TPT étant calculée sur le volume et non le prix), une perte en partie compensée par la hausse généralisée de prix des manufacturiers depuis trois ans. Note : les colonnes oranges représentent des années ou la TPT a été augmentée.

Si Québec choisissait d’augmenter la taxe sur le tabac l’an prochain ou dans les prochaines années (pas trop loin), il est toujours possible que les recettes fiscales rebondissent et franchissent à nouveau cette barre mythique. Mais autrement, toutes choses étant égales, nous assistons ici à ce qui ressemble tout à fait à un déclin en règle de cette catégorie de produit promise à une mort lente mais presque certaine au cours des prochaines décennies.

Planifier la décroissance… en se fiant sur les rentrées fiscales de Québec

Tous les dépanneurs savent, au fond d’eux-mêmes, que le tabac est une catégorie en sursis. Une catégorie appelée à baisser constamment au cours des prochaines décennies, voire même à disparaître complètement.

Mais à quel rythme?… très lent, lent, moyen ou rapide? Telle est la question.

L’implantation en cours du paquet neutre, sans avoir nécessairement un impact marqué sur les ventes, est une autre de ces mesures illustrant l’acharnement des gouvernements à réduire la demande ainsi que la vente de ce produit.

Pragmatique, le dépanneur a pour sa part intérêt à ne pas perdre de vue la dynamique du marché. Le tabac demeurant encore et toujours, pour la plupart, la plus importante source de revenus, il convient de bien anticiper les baisses à venir pour s’y préparer et trouver des alternatives de revenus et de profits permettant au commerce de rester à flot.

Or, le meilleur indicateur disponible pour suivre l’évolution du marché est, justement, cette statistique que nous présentons ici sur les revenus de taxes.

Car la taxe provinciale sur le tabac (TPT) est fixe et calculée sur le volume et non le prix. Elles équivaut présentement à 29,80$ par cartouche, peu importe le prix vendu. Que ce soit 75$ ou 100$, la taxe est la même.

De sorte que si les revenus de taxes baissent, disons, de 10%, cela signifie que le volume de vente baisse lui aussi de 10%… c’est aussi simple que cela.

Mais c’est seulement lorsque les taxes demeurent inchangées, comme c’est le cas depuis l’année 2015, qu’on peut se fier à un tel calcul. Profitons-en donc pour jeter un oeil pénétrant sur le marché actuel car autrement, les seules données disponibles remontent à 2017.

Scénarios sur 10 ans

Depuis 2016, nous avons donc assisté à trois baisses successives des ventes: –3,5% en 2017, –3,0% en 2018 et –1,9% en 2019 pour une moyenne de -2,8% au cours des trois dernières années.

L’une de ces baisses pourrait donc s’avérer comme étant la tendance maîtresse des prochaines années.

Pour le bénéfice de nos lecteurs, nous avons fait l’exercice de projeter ces différents scénarios de baisse sur la prochaine décennie selon trois axes : Pessimiste (-3,5%/an), Modéré (-2,8%/an) et Optimiste (-1,9%/an).

Notez ici qu’un professionnel de la santé inverserait sans doute nos termes et qualifierait « d’optimiste » des baisses plus accélérées, mais le propos ici est purement économique et nous laissons à dessein de côté toute considération morale pour ne s’en tenir qu’aux enjeux d’affaires.

De plus, pour illustrer l’impact concret pour chaque dépanneur, nous avons couplé les recettes fiscales avec les volumes de vente au Québec rapportés par Santé Canada.

Pour ce faire, nous avons établi un ratio de conversion entre les recettes fiscales et le volume de vente à partir d’une moyenne calculée sur trois années récentes antérieures, tel que présenté au tableau suivant.

calcul conversion recettes fiscales tabac et volume de vente 2019
En se basant sur les statistiques de volume de ventes de cigarette dévoilé par Santé Canada pour les années 2015 à 2017, nous estimons que chaque 15,7 cents de recette fiscale du Québec équivaut à la vente d’une seule cigarette.

Voici donc à quoi ressemblerait, dans un premier temps, les recettes fiscales du tabac au Québec au cours de la prochaine décennie, un tableau qui intéressera certes le ministre des Finances (mais sans vraiment l’inquiéter puisqu’il nage présentement dans les surplus).

évolution recette fiscales tabac qc 2030
Dans le pire des scénarios envisagés, Québec perdrait 323M$ par année en revenus récurrents de taxes sur le tabac tandis que dans le meilleur des cas, il verrait seulement 189M$ partir en fumée. Les chiffres sont exprimés en millions de dollars et bien entendu, présument que les taxes sur le tabac ne seront jamais augmentées durant cette période.

Maintenant, voici le même tableau mais cette fois exprimé en volume de ventes.

projection volume vente tabac 2030
Dans le pire des scénarios envisagés, les ventes baisseront de 32,4% d’ici 2030. Il se vendra donc 2 milliards de cigarettes de moins au Québec, soit 10 millions de cartouches. En estimant que les dépanneurs occupent 80% du marché et qu’ils sont 5500, cela signifie 1,454 moins de cartouches vendues par année en moyenne ou encore, 28 cartouches vendues en moins par semaine et par dépanneur. À 8$ de revenus bruts par cartouche environ, cela signifie des pertes de revenus nets de 900$ par mois qui ne pourront plus servir à payer des salaires ou le loyer.
15,000$ de moins en revenus nets par année

En conclusion, et si la tendance se maintient et dans le pire des scénarios envisagés, les dépanneurs vont devoir composer d’ici 2030 avec un manque à gagner moyen (revenus nets) de 10,800$ par année, soit 900$ par mois.

À ce chiffre, il faudra bien sûr ajouter la baisse d’achalandage subséquentes et de ventes secondaires qui s’ensuivra étant donné que moins de clients traverseront les portes du dépanneur.

Toutefois, cet impact pourrait être amoindri si les manufacturiers continuent de pouvoir hausser leurs prix pendant que les gouvernements se retiennent d’augmenter les taxes, ce qui est le cas depuis quelques années au Québec. Ainsi, la baisse de la demande est compensée par une hausse des bénéfices dont les dépanneurs profitent.

Mais même en procédant ainsi — et à moins d’inventer une cigarette sans aucun risque pour la santé — on ne saurait empêcher le déclin irrémédiable des revenus nets découlant de la vente de tabac pour les dépanneurs dans l’ensemble.

Autrement, on peut donc raisonnablement envisager une baisse du revenu net annuel de l’ordre de 15,000$ par dépanneur dans le pire des cas et d’environ la moitié de ce montant dans le scénario le plus optimiste.

Dans un tel contexte, il est étonnant de constater à quel point Québec manque de vision en n’offrant aucune solution de rechange aux dépanneurs et même pire, en réglementant sévèrement ou en s’appropriant la vente de catégories alternatives comme le vapotage ou le cannabis.

La question en sera donc une de survie. Êtes-vous prêts à vous adapter à cet environnement de plus en plus exigeant et sans pitié?

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