Projet de loi S-5 sur le vapotage : des impacts surtout pour les fabricants & importateurs

Avec les gouvernements, c’est toujours la même chose : pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué?

L’environnement réglementaire changeant des cigarettes électroniques n’est certes pas facile à comprendre. Deux ans après que Québec ait adopté un loi en ce sens, Ottawa s’apprête à légiférer à son tour. À quoi s’attendre?

DepQuébec fait le point sur les impacts pour les dépanneurs.

 

Quelle était la situation réglementaire avant que les gouvernements n’adoptent des lois (2005-2015) sur la e-cig?

La cigarette électronique a été inventée en Chine en 2004 et dès 2007, elle a commencé à faire son apparition au Canada.

En l’absence de réglementation spécifique, ce produit a d’abord été régi par les lois existantes.

Les aspects les plus problématiques étaient alors la présence de nicotine et les allégations santé faites par certains fabricants, telles les promesses de sevrage du tabac. Tous ces volets sont assujettis sévèrement par la Loi sur les aliments et drogues.

Pour ce qui est de la nicotine, Santé Canada doit autoriser de tels produits avant qu’ils ne puissent être vendus, à la lumière de preuves sur leur sécurité, leur qualité et leur efficacité. Mais puisqu’aucun fabricant n’a soumis de produit, aucun n’a été autorisé, de sorte que la commercialisation et la vente de cigarettes électroniques (et de liquide à vapoter) contenant de la nicotine ou affichant des allégations santé ont toujours été illégales par défaut.

Pour le reste, soit les cigarettes électroniques sans nicotine et sans allégation santé, elles pouvaient être vendues légalement sans autorisation de la part de Santé Canada mais demeuraient assujetties à la Loi canadienne sur la sécurité des produits de consommation.

Comment le marché s’est-il ajusté?

Dans un environnement aussi peu contraignant, les marchés en ont profité : l’offre s’est multipliée et les cigarettes électroniques se sont rapidement propagées dans les dépanneurs, les boutiques spécialisées (vape shop) et sur Internet. Les produits pouvaient être montrés librement et il n’y avait aucune restriction sur l’âge d’achat : un enfant de 10 ans pouvait s’en procurer.

De plus, étant donné le faible contrôle exercé entourant les produits avec nicotine et le fait qu’ils étaient facilement accessibles sur le net, plusieurs ont vendu des recharges avec nicotine illégalement en connaissance de cause ou non, de sorte qu’il n’était aucunement difficile de s’en procurer.

Santé Canada dit avoir agi sur la base de plaintes reçus et identification des risques encourus. Elle a fait des inspections sur les lieux, l’envoi de lettres d’avertissement, des demandes d’arrêt de vente, des refus à la douane ou la saisie du produit. L’organisme a surveillé la vente de ces produits de même que les détaillants et les sites Web qui ne respectent pas les règles. 

Quelles sont les préoccupations des gouvernements vis-à-vis la cigarette électronique?

Partie de zéro il y a 13 ans environ, la cigarette électronique n’a cessé de gagner en popularité. On estime aujourd’hui que plus de 2,5 millions de Canadiens en consomment.

Bien que la plupart des scientifiques sont convaincus qu’elle est moins nocive que le tabac, certains avancent qu’il faut demeurer prudent tant qu’on ne connaît pas ses effets à long terme tandis que d’autres vont jusqu’à la déclarer totalement inoffensive. À cela, il convient d’ajouter les questions relatives à sa relation délicate envers le tabac : est-elle davantage une porte d’entrée ou de sortie vers le tabagisme? Rien n’est tout à fait clairement établi encore en cette matière sauf une chose : elle est assurément moins nocive que le tabac.

Il faudra sans doute de nombreuses années encore avant qu’on puisse répondre avec certitude à ces questions mais en attendant, les gouvernements sont sous pression pour réglementer ce produit en fonction des risques et avantages perçus de la cigarette électronique, à savoir :

  • les risques potentiels pour la santé des utilisateurs de cigarettes électroniques;
  • les risques potentiels pour les tiers qui y sont exposés;
  • la forte présomption que les cigarettes électroniques sont moins nocives que les autres produits à base de nicotine;
  • la possibilité que les cigarettes électroniques aident à cesser de fumer;
  • les craintes au sujet d’un « effet de passerelle », c. à d. que l’utilisation des cigarettes électroniques amène des enfants et des non-fumeurs à passer ensuite aux cigarettes véritables;
  • la crainte que les cigarettes électroniques « normalisent » à nouveau l’usage du tabac, y compris le fait de fumer.
Comment Québec a-t-il légiféré en 2015 et qu’est-ce que cela a changé?

En 2015, le Québec s’est doté d’un cadre réglementaire par le biais du projet de loi 44. En gros, la cigarette électronique et tous les autres dispositifs de même nature, y compris leurs composantes et leurs accessoires, ont été soumis aux mêmes règles que les produits du tabac, à savoir :

  • Interdiction de vente aux mineurs;
  • Interdiction d’en consommer dans les mêmes lieux que le tabac (terrasses, bureaux et autres);
  • Obligation pour les dépanneurs de cacher le produit et ses accessoires à la vue des clients.

En revanche, certaines dispositions sont demeurées plus souples que le tabac :

  • Possibilité d’ouvrir des boutiques spécialisées dont l’accès est toutefois interdit aux mineurs (ces boutiques pourront alors étaler les produits à la vue de la clientèle);
  • Possibilités d’offrir des saveurs (des cigarettes électroniques sans saveur n’auraient pas de sens);
  • Possibilité de faire de la publicité dans les journaux et magazines dont le lectorat est adulte à 85% avec toutefois un avertissement de santé réglementaire.

Bien entendu, les cigarettes électroniques ne sont pas soumises à la taxe de 75 % sur le tabac, mais seulement à la taxe normale des produits.

En somme, cette loi est venue restreindre la vente de ces produits en dépanneur dans la mesure où il est maintenant impossible de les montrer aux clients ni de les promouvoir avec des affiches ou autres.

Qu’est-ce que le fédéral s’apprête à faire?

Le projet de loi S-5 va d’abord mettre fin au vide juridique actuel en légalisant la vente de nicotine, mais selon des normes très strictes à respecter.  Le fédéral s’apprête ainsi à établir un tout nouveau cadre législatif et réglementaire entourant la vente de produits de vapotage, dont certaines mesures recoupent celles déjà adoptées par Québec :

  • interdire la vente de produits de vapotage aux mineurs, y compris l’envoi de ces produits à un mineur (une loi déjà en vigueur au Québec mais pas dans toutes les provinces);
  • établir par voie de réglements des normes en matière de fabrication, de contenu et de sécurité des produits de vapotage;
  • interdire la promotion des produits de vapotage contenant des arômes qui sont attrayants pour les jeunes (ex : à la gomme balloune);
  • obliger les fabricants à fournir au ministre de la Santé de l’information sur un produit de vapotage avant que celui-ci ne puisse être mis en vente;
  • limiter la publicité à l’égard des produits de vapotage.

Concernant la publicité, voici des exemples de restrictions qui sont prévues dans le projet de loi fédéral :

  • interdiction de faire la promotion d’un produit de vapotage :
    • par l’entremise d’attestations ou de témoignages ou de manière à le rendre attrayant pour les jeunes;
    • au moyen de l’emballage, d’une manière qui pourrait faire croire que son usage présente peut-être des avantages pour la santé;
    • en comparant ses effets sur la santé à ceux liés à l’usage de produits du tabac, à moins d’une autorisation;
  • interdiction d’emballer ou vendre un produit de vapotage qui est emballé d’une manière non conforme aux dispositions de la Loi sur le tabac et les produits de vapotage ou de ses règlements;
  • interdiction de faire figurer sur le produit de vapotage ou sur son emballage une mention ou une illustration susceptible d’être attrayante pour les jeunes, qui pourrait faire croire que le produit est aromatisé, ou encore vendre un produit portant une telle mention ou illustration, etc.
Les dispositions du projet de loi S-5 qui empêchent aux fabricants de promouvoir les bénéfices « santé » par rapport au tabac font enrager certains comme Sherwin Hal Edwards, PDG de Vap Select, un importateur et distributeur québécois basé à Mirabel qui entend se battre bec et ongles contre le S-5. L’attitude frileuse du gouvernement canadien face à l’opportunité que représente cette alternative plus saine au tabac découle, pense-t-on, d’une idéologie fermée et prohibitionniste qui va davantage nuire qu’aider la santé publique.

En somme, tout bien réfléchi, le gouvernement considère que le vapotage comporte encore des risques significatifs — ne serait-ce que pour promouvoir le tabagisme de manière indirecte — et tient à éloigner ce produit des jeunes, tout en gardant une « certaine » ouverture par rapport aux bénéfices qu’il peut apporter pour aider les fumeurs à écraser. Mais à ce titre, le gouvernement fait un choix excessivement prudent — que plusieurs qualifieront de frileux — et qui risque de freiner la progression d’un produit ayant de réels bénéfices potentiels.

Cette vision est certes une déception pour des gens comme Sherwin Hal Edwards, PDG de Vap Select (voir photo), qui croient dur comme fer que le vapotage est inoffensif et n’a que des avantages, car les vapoteurs ne peuvent plus consommer dans les lieux publics comme les bars et restaurants, même si leur vapeur ne dérange personne. Ces gens font aussi valoir que d’autres pays, comme le Royaume-Uni notamment, ont beaucoup plus d’ouverture face aux avantages santé du produit. Sans surprise, plusieurs groupes de santé estiment au contraire que le projet de loi est trop permissif en permettant la publicité du genre « style de vie » pour un produit qui contient de la nicotine.

Et pour ce qui est du projet de loi fédéral, ce sont surtout les fabricants qui seront visés : il les obligera à fournir de l’information à Santé Canada, à respecter les normes de fabrication, de contenu et de sécurité et à se conformer à toutes les restrictions relatives à la promotion.

En ce qui a trait aux détaillants, l’essentiel des mesures est déjà en place, à savoir : interdiction de vendre aux mineurs et interdiction de le montrer aux clients.

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