Un règlement municipal oblige des deps à payer cher pour remplacer un équipement en parfait état

ATTENTION : SI VOUS ÊTES PROPRIÉTAIRE DE DÉPANNEUR ET DISPOSEZ D’APPAREILS DE REFROIDISSEMENT À EAU POTABLE, LISEZ BIEN CET ARTICLE CAR IL POURRAIT VOUS FAIRE ÉPARGNER DES SOMMES IMPORTANTES.

Propriétaire indépendant du Dépanneur Normandie-Dijon à Montréal-Nord depuis des années, Ali Eddoughmi est en colère.

Lui qui travaille d’arrache-pied pour améliorer son sort à force de profits microscopiques amassés patiemment doit maintenant subir une lourde perte financière causée par un règlement municipal certes bien fondé, mais déconnecté de la réalité des petits commerçants et surtout, très mal communiqué.

Et ce qui arrive à M. Eddoughmi risque fort de se propager un peu partout au Québec, car les différentes municipalités sont toutes en train d’adopter le même règlement, le tout endossé par la Stratégie québécoise d’économie d’eau potable.

De très lourdes pertes pour son dépanneur

Ali a appris il y a à peine deux ans qu’il avait jusqu’au 1er janvier 2018 pour remplacer les cinq unités de refroidissement que compte son dépanneur et qui fonctionnent à merveille…  à l’eau potable.

Ces compresseurs servent à refroidir la chambre froide où se trouve la bière mais également les boissons et breuvages et autres réfrigérateurs dans le magasin.

Bien que le dépanneur d’Ali soit équipé d’un compteur d’eau de sorte qu’il paie déjà des sommes additionnelles pour la quantité d’eau qu’il utilise, il s’expose à des amendes de 1000$ pour une première offense et de 4000$ pour une récidive s’il ne corrige pas la situation.

Puisque son magasin en compte cinq, il a donc dû tous les remplacer à 2000$ pièce, soit une dépense totale de 10000$ qui n’ajoute absolument aucune valeur à son commerce.

Les cinq appareils de refroidissement à eau potable comblaient tous les besoins de climatisation de la chambre froide et des différents réfrigérateurs du dépanneur.
Une situation qui profite aux spécialistes en climatisation

Mais comme il s’en est rendu compte sur le tard et qu’il voyait s’approcher la date fatidique du 1er janvier 2018, les fournisseurs de système de réfrigération qu’il a contacté étaient tous débordés en raison du même règlement et du fait que plusieurs commerces et restaurants sont dans la même situation que lui, de sorte que son pouvoir de négociation pour obtenir de bons prix s’est avéré fortement réduit.

Et non seulement a-t-il dû payer le plein prix, mais encore lui a-t-il fallu remettre au contracteur les anciens équipements en parfait état sans rien pouvoir espérer en retour.

En en plus, il lui faudra faire des travaux additionnels dans son magasin pour évacuer la chaleur importante que ces nouveaux appareils émettent.

De sorte que les pertes d’Ali se calculent grosso modo ainsi :

  • 5 nouveaux refroidisseurs à air à 2000$ chaque : 10 000$;
  • valeur résiduelle des anciens compresseurs qu’il a fallu radier : 7 000$;
  • réaménagement du sous-sol pour évacuer la chaleur des nouveaux compresseurs : 2 000$;
  • temps et autres pour finaliser tous ces changements : 1 000$.

TOTAL : 20 000$

Il s’agit à n’en pas douter d’un montant astronomique pour un petit dépanneur indépendant, qui va prendre des années à absorber!

Comment se fait-il qu’on ne lui a pas donné plus de temps pour remplacer les équipements actuels ou encore, offert des programmes d’aide financière pour ce faire?

Comment se fait-il aussi que la Ville de Montréal mette dans le même bain petits dépanneurs et grandes industries en leur imposant les mêmes conditions?

Voici un des cinq nouveaux refroidisseurs à air acquis par Ali Eddoughmi à grand frais pour se conformer à la nouvelle réglementation.
Seulement quatre ans et demi pour se conformer

La Ville de Montréal est réputée pour son manque d’écoute envers les commerçants et son peu d’empressement à leur faciliter la vie. Le cas d’Ali semble être une nouvelle preuve en ce sens.

En effet, deux règlements sur l’interdiction des systèmes de refroidissement à eau potable  — le 13-023 et le RCG 13-011 — ont été adoptés en juin 2013, le premier s’appliquant au secteur résidentiel et le second, aux secteurs commercial et industriel.

L’objectif de ce règlement est tout à fait louable car même Ali concède que les équipements en question consomment une quantité phénoménale d’eau potable.

Il faut remonter en 2003 pour entendre parler de cet enjeu pour la première fois. Une enquête du réputé journaliste Louis-Gilles Francoeur du quotidien Le Devoir (lire ici) révélait que des centaines de millions de mètres cubes d’eau étaient littéralement gaspillés à Montréal par l’utilisation permise d’eau potable à des fins de climatisation.

“Plusieurs utilisent l’eau de la municipalité pour climatiser des magasins ou des bureaux et, dans l’industrie alimentaire, pour refroidir des réfrigérateurs. Un grand nombre de dépanneurs de Montréal utilisent cette technique, plus économique qu’un refroidissement à air ou qu’une tour de refroidissement.” – Louis-Gilles Francoeur, Le Devoir, 9 octobre 2003

Selon le Devoir, ces appareils utilisent de l’eau potable qui coule en permanence d’un petit tuyau d’un demi-pouce à 60 livres de pression, laissant ainsi échapper jusqu’à 50 litres à la minute ou 26 millions de litres (26000 mètres cubes) d’eau par année, soit l’équivalent de la consommation annuelle de 85 résidences pour un seul appareil.

Sauf que Montréal a toujours permis leur installation de sorte que des centaines de dépanneurs et restaurants, en particulier, s’en sont équipés en toute légalité et ont investi alors des sommes importantes de leur capital en escomptant une utilisation à long terme.

En 2007, Montréal adoptait une nouvelle réglementation visant à doter les commerces, industries et entreprises de compteurs d’eau afin de mieux comprendre et éventuellement, tarifer le secteur.

Dans les années subséquentes, le Dépanneur Normandie-Dijon en a bel et bien installé un et plus tard, s’est fait facturer des montants additionnels en fonction de sa consommation d’eau de sorte que ce dernier payait sa juste part pour la consommation d’eau de ses compresseurs.

Puis, six ans plus tard, en juin 2013, la Ville de Montréal adoptait les deux nouveaux règlements mentionnés plus haut pour interdire désormais complètement le refroidissement à base d’eau potable sur son territoire.

On y interdit alors l’installation de refroidisseur à l’eau potable mais pour ce qui est des équipements déjà en place, les résidences ont jusqu’au 31 décembre 2022 pour les remplacer tandis que les entreprises doivent le faire avant le 1er janvier 2018, soit moins de cinq ans après l’adoption du règlement.

Or, les équipements achetés et installés légalement ont une durée de vie de près de 15 ans! Pourquoi alors ne donner que 54 mois aux commerces pour les remplacer tandis que les résidence ont presque 10 ans pour le faire?

Zéro effort de communication

Pour ajouter au problème, Ali n’a appris l’existence du règlement qu’en 2016… or, il venait juste de s’équiper d’un nouveau compresseur à eau potable, ne sachant même pas qu’ils étaient interdits depuis trois ans.

“Je ne savais pas que ce règlement avait été adopté. Certains ont semble-t-il reçu des lettres, moi je n’ai jamais rien reçu. Je l’ai su d’un ami qui exploite un dépanneur lui aussi.” – Ali Eddoughmi

La ville a manifestement reçu de nombreuses plaintes à ce sujet puisque dans un FAQ diffusé publiquement sur internet (voir ici), elle répond elle-même aux objections en se justifiant.

Question :  Je n’étais pas au courant de la réglementation. Comment faire pour être informé ?

Réponse : Le fait de connaître tardivement un règlement ne vous soustrait pas à l’obligation de vous y conformer. Depuis 2013, la Ville de Montréal a fait connaître le règlement, notamment au moyen de dépliants distribués aux propriétaires concernés. Toute l’’information est disponible dans les bureaux Accès Montréal des arrondissements et des préposés sont à l’accueil pour répondre aux questions des citoyens. De plus, le site Internet du Service de l’eau de la Ville de Montréal (ville.montreal.qc.ca/eaudemontreal) regroupe toute la réglementation, des alternatives pour se conformer, de même que d’autres documents afférents. De manière plus ciblée, la Ville a aussi informé l’industrie de la climatisation et de la réfrigération des exigences réglementaires. Durant la période estivale, la Patrouille bleue qui sillonne la Ville poursuit auprès des citoyens les visites de sensibilisation et d’information à ce sujet, et ce, depuis plusieurs années.

Il apparait évident quant à nous que ces efforts sont nettement insuffisants. Pourquoi ne pas avoir contacté les commerces visés par téléphone via une firme de sondage ou encore, transmis une lettre à toutes les entreprises susceptibles d’être affectées et ce, tout de suite après l’adoption du règlement?

Aussi, tandis que la Ville montre beaucoup de souplesse pour accommoder les résidents qui ont un équipement maintenant prohibé, leur offrant une prolongation sur demande jusqu’en 2022, les entreprises n’ont pas cette chance, peu importe leur taille ou leur capacité financière.

Question : Est-il possible d’obtenir un délai supplémentaire afin de se conformer à la réglementation ?

Réponse : Dans le secteur des ICI (industrie et commerces), les possibilités de prolongation sont plus limitées. Toutefois, un propriétaire peut en demander une au plus tard jusqu’au 31 décembre 2022, mais il doit démontrer, au moyen d’un rapport d’expertise, les motifs qui empêchent ou retardent le remplacement des appareils, les coûts de remplacement ne constituant pas un motif suffisant pour obtenir une prolongation.

Économiser de l’eau potable en incitant les citoyens et commerçants à s’équiper d’équipement plus performant, c’est bien. Mais les forcer à le faire de cette façon est fort discutable.

Quand Ali a acheté ses refroidisseurs à eau potable, il avait la certitude d’être en loi et de pouvoir profiter de ceux-ci durant de longues années.

En forçant les propriétaires déjà lourdement taxés à remplacer leur équipement avant la date d’expiration, la Ville transfère un fardeau financier important sur leur épaules plutôt que d’assumer elle-même l’impact de ses lois et règlements.

Demander aux petits dépanneurs d’assumer une telle part du fardeau de la modernisation des pratiques en matière de consommation d’eau équivaut à leur mettre un poids énorme sur les épaules.

La seule consolation d’Ali : il va désormais économiser quelques centaines de dollars par année sur sa facture d’eau… de quoi récupérer sa perte dans 50 ans!

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