WATERVILLE : Quand un dépanneur devient le seul marché pour 2000 personnes!
On pourrait penser qu’elle a sauté de joie, crié en l’air comme si elle avait gagné la loterie et couru s’acheter une auto de luxe.
Mais pas du tout.
Au contraire.
Lorsqu’elle a appris la fermeture soudaine et inattendue de son seul compétiteur à Waterville, un charmant village de l’Estrie au sud de Sherbrooke et à l’est du Lac Massawippi, Erin Smith, propriétaire du Dépanneur Waterville, a tout de suite réalisé qu’elle était dans le trouble.
En effet, son dépanneur devenait de facto le seul fournisseur alimentaire d’une communauté de 2 000 personnes. Les plus proches concurrents se trouvent désormais à… 5 km minimum (soit au village de Compton ou de North Hatley).
Mais là on parle d’un dépanneur qui dépanne, pas d’une épicerie qui nourrit!
Ça s’est passé dimanche, le 27 août dernier.
« Une feuille blanche sur laquelle étaient inscrits les mots « Fermé, merci », était visible, lundi après-midi, sur la porte du Marché Morin de Waterville. La consternation était palpable dans tout le village. Le va-et-vient était tout de même continu dans le stationnement du commerce, lundi, 24 heures après la fermeture. Plusieurs clients se sont arrêtés pour constater que les portes de l’épicerie étaient verrouillées. » – La Tribune, 28 août 2017
L’effet a été immédiat, instantané, puissant.
« La première semaine, on a vu rentrer dans le dépanneur des visages totalement nouveaux, des gens qu’on avaient jamais vu avant et qui avaient l’air un peu perdus », rappelle-t-elle.
La première priorité d’Erin a été de contacter ses fournisseurs et de prendre de nouveaux arrangements pour augmenter ses livraisons et sa sélection de produits.
Opération « stockage maximum »
La priorité d’Erin est double : elle doit d’une part, augmenter ses livraisons de produits existants qui sortent beaucoup plus vite qu’avant, et d’autre part, ajouter de nouvelles catégories de produits permettant aux clients de se cuisiner des repas à la maison.
Son fournisseur alimentaire est Metro qui l’alimente de son entrepôt de Saint-Jean-Port-Joli et pour ce qui est de l’essence, elle vend du Petro-T (Harnois Groupe pétrolier). Elle s’asseoit avec eux et convient rapidement de nouveaux horaires de volumes de livraison.
Côté fruits et légumes frais, le Dépanneur Waterville en tenait un petit peu : il a donc fallu augmenter la section, la sélection et la quantité offerte. Même chose pour la viande : le dépanneur n’offre pas de viande fraîche, mais des charcuteries.
En revanche, il a fallu entrer de nouveaux produits comme un étalage à épices, une plus grande variété de produits laitiers et surtout, plus d’épicerie.
« Dès les premières semaines, il nous a fallu travailler très fort pour répondre à la demande. Je suis passée de 17-20 caisses de livraisons par semaine à une soixantaine environ! Seulement pour les oeufs, je suis passée de 10-12 douzaines à 2 caisses par semaine! », dit-elle.
Heureusement, tout cela est arrivé alors que son dépanneur avait terminé sa phase d’agrandissement.
La brillante réussite d’une jeune femme partie de rien
Née dans le village de Waterville, Erin Smith se souvient qu’étant jeune, celui-ci fourmillait de commerces.
« Ici à Waterville, on avait avant deux épiceries, un dépanneur et une boucherie qui fonctionnaient tous très bien », se rappelle-t-elle.
C’est très jeune qu’elle se lance dans le commerce de proximité. Avec presque rien, elle achète le dépanneur Mado situé sur la rue Compton Est.
C’est un commerce minuscule, avec juste assez d’espace pour les produits de base, mais c’est parfait : Erin peut commencer à bâtir son fonds de commerce et avec énergie et détermination, elle double les ventes en deux ans.
Ayant établi sa base, elle se voit maintenant limitée par le peu d’espace d’autant plus que le local qu’elle occupe est loué.
Erin fait alors un coup de maître en négociant un contrat d’achat graduel sur cinq ans du Garage Rouillard, stratégiquement situé dans le village et offrant de l’essence.
Durant ces cinq années, elle occupe une partie de la bâtisse avec l’exploitant du garage au terme de quoi, elle le rachètera au complet, incluant les pompes d’essence, ce qu’elle fait et ce qui lui permet d’agrandir encore plus son commerce.
Depuis quelques années seulement, Erin est désormais propriétaire d’un dépanneur de grande superficie avec essence et une cantine en plus qu’elle a aménagé!
Et là, tout à coup, elle devient le seul marché du village!
La chute incroyable du Marché Morin
La fermeture inopinée, soudaine et inattendue de son compétiteur devrait servir de leçon de prudence à tous les exploitants de commerce dans des régions éloignées.
Le Marché Morin (bannière OMNI de Sobeys Québec) a toujours fait partie du paysage de Waterville. Il était situé sur la rue Principale Sud, au coeur du village.
Le propriétaire a alors décidé de déménager ses pénates dans un nouveau complexe commercial de 5 M $ à proximité : locaux neufs, poste d’essence Sonic, superficie agrandie et autres.
Le problème : pourquoi agrandir quand la clientèle, elle, ne grossit pas et demeure la même?
De sorte qu’un an et quelque après l’ouverture, le propriétaire lourdement endetté réalise qu’il ne peut sortir la tête de l’eau et entreprend un recours de faillite. C’est la fin… aussi abrupte qu’imprévue!
La consolidation fait des gagnants et des perdants
De sorte qu’Erin se retrouve présentement à travailler deux fois plus fort pour satisfaire la clientèle elle aussi, prise au dépourvu.
« J’ai 23 employés présentement — j’en ai engagé seulement deux de plus — mais je fais beaucoup plus d’heures depuis deux mois… je suis exténuée », dit-elle. Elle qualifie d’ailleurs les dernières semaines comme un « free for all », une période folle.
Et qu’en est-il de ses ventes?
« Tout a pas mal augmenté », dit-elle. « Mais le plus compliqué a été de rentrer les nouvelles catégories comme les épices (50 skus de plus), le lait (10 skus de plus) et la bière (3 skus de plus) ».
Erin ne sait pas non plus si la situation va durer car une nouvelle épicerie pourrait rouvrir : plusieurs citoyens font des démarches en ce sens. Ce pourquoi elle hésite à embaucher davantage.
Elle regarde par ailleurs des alternatives pour durer : « Je suis en discussion avec un boucher et je vais rentrer un nouveau congélateur pour offrir plus de surgelés », dit-elle.
Et quant à son commerce, la nécessité a fait qu’il faudrait trouver un nouveau nom pour le qualifier : dépanépicerie? Épiceripanneur? Marchépanneur?
On dit souvent dans la vie « Aide-toi et le ciel t’aidera ». Cela ne saurait mieux s’appliquer à Erin Smith qui récolte aujourd’hui le fruit d’années d’efforts et de judicieuses décisions!
À noter que le Dépanneur Waterville s’est classé au 82e rang du Palmarès des 100 dépanneurs les plus appréciés de DepQuébec, dévoilé en début de semaine!